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Le Théâtre du Chapeau Rouge, au 140: Babylone 79



La Libre Belgique

6-2-1980

Le Théâtre du Chapeau Rouge, au 140

BABYLONE 79

Nul besoin de sonder les ruines de la prestigieuse cité mésopotamienne pour suivre les Chapeaux Rouges dans leur irrespectueuse tragédie pour rire : la Babylone d'Alain Gautré se situe hors du champ historique, dans la vertigineuse futilité d'une fable moderne qui ne prétend rien prouver. Le potentat Baltazar (Daniel Jegou) porte un complet gris sur une tête de noceur distingué, la reine Annakalis (Catherine Frot) en robe fourreau bronze en bord de mer, lunettes noires sur le petit nez, le Prophète (Alain Gautré) est en pyjama dans sa cage, le vieux Gauma (Yann Collette), 130 ans, sorte de Hérodote radoteur, lit « Le Monde », Darrius (Noèl Herr) est un mercenaire d'opérette, Le Fou du Roi (Jean-Pierre Darroussin), armé d'un poireau en guise de fouet ou de sceptre, s'exprime en hexagonal.

On l'aura compris, Alain Gautré n'est pas René Kalisky : Alain Gautré est typiquement le comédien-écrivain ou auteur-acteur qui, au sein d'une équipe (les Chapeaux Rouges) fabrique, avec du reste un solide talent, des spectacles sur mesure, dont la régie d'or est le plaisir du théâtre. Ce n'est déjà pas si mal...

On ne sait pas grand-chose sur cet auteur qui sait écrire dans une langue de théâtre brillante. Son « Grouchnagaland » (?) est créé en 1974 à la Maison des Jeunes et de la Culture de Courbevoie ; l'année suivante « Le jardin d'à côté » passe de Courbevoie à Paris et, en 77, à Avignon (siège du Chapeau Rouge); « Place de Breteuil », en 78, fait quelque bruit.

« Babylone 79 » frise le grand thème, sans sans prétendre l'entamer. Gautré fuit la profondeur comme un dauphin farceur et frivole. On pourrait imaginer qu'il a peur des grands fonds. Car le thème de « Babylone » ce n'est pas moins que le renversement d'une civilisation agonisante, sujet particulièrement actuel.

On reprochera à Gautré d'avoir galvaudé un grand sujet, en le traitant comme une énorme plaisanterie. A moins que ce soit précisément le comble du tragique. D'où, un certain malaise devant ce spectacle qui pue le talent, mais se complaît dans la facilité, sinon le scandale.

Car, il y a un fumet de scandale - dans les mots surtout - tout au long de ce Dernier Tango à Babylone, où la notion de plaisir est d'autant plus crispée que le plaisir véhicule l'idée de la mort prochaine. « Babylone 79 », sous ce rapport, n'est pas un spectacle pour collégiennes.

Les acteurs du Chapeau Rouge ne se privent pas du plaisir de jouer. Aussi jouent-ils avec allacrité, invention et souplesse. Le jour de la première au 140, Catherine Frot (Annakalis) venait d'apprendre qu'elle partageait avec Michel Bouquet le Prix de la meilleure actrice (pour une pièce jouée au Petit Odéon). Alain Gautre est lui-même un comédien accompli. Mais il faut également applaudir Darroussin, Yann Collette, Daniel Jugou qui, dans un style proche de Jarry, enlèvent avec brio cette farce un peu courte. Le double reproche que l'on fera à l'auteur : une quinzaine de répliques dont on se passerait, un dénouement sans consistance ...

J.S.

Auteur J.S.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Babylone 79

Date(s) du 1980-02-04 au 1980-02-09

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Théâtre du Chapeau Rouge