Archives du Théâtre 140

Le Soir

7-2-1980

Babylone '79 au « 140 »

une tragédie « punk »

Thème : la décadence, une société qui s'écroule sur son propre fumier, où le pouvoir ne s'exerce plus que par rapport à lui-même. Nous sommes à Babylone, nous pourrions être à New York, Moscou ou, pourquoi pas?, à Bruxelles. D'ailleurs, la tenue des acteurs est celle qu'on trouve dans nos hebdomadaires à la mode : « punk » comme on disait hier, « novö » (le tréma est important!) comme on dit aujourd'hui.

Thème neuf? Non. A l'époque où l'efficacité technocratique s'empare même du terrain de la contestation, je veux dire a l'époque où le conformisme est moins celui de Superman et de la B.D. (devenus curiosités culturelles) que celui d'un certain Monsieur Tout-le-Monde qui crie « Au loup! » à propos de tout et de rien, en notre époque, dire que tout va mal (même si c'est vrai) relève un peu de la tarte à la crème.

Mais il y a la manière de le dire. Et là, l'auteur de Babylone '79, le Français Alain Gautre, sait y faire. Décalant par le biais de l'humour et de la dérision ce qui est en quelque sorte une tragédie punk, il a de belles envolées, un vrai sens de l'écriture théâtrale et il sait mélanger le grandiose et l'universel avec le sexe et l'affreux.

Babylone '79, c'est le renversement d'une civilisation millénaire (ne me dites pas que vous ignorez de quelle civilisation il s'agit!). Balthasar a le pouvoir, c'est un monstre, une sorte de Caligula qui lirait Hara-Kiri et aurait vu le Méphisto de Mnouchkine. Il est grotesque et fascinant, entouré d'une cour où il y a un magicien, un fou à la Frankenstein, un prophète, une putain royale et une pure jeune fille. Mort et plaisir, mythologies universelles, se mélangent à Babylone jusqu'à l'arrivée de Darius qui va reprendre le pouvoir au nom d'une raison tout aussi dangereuse. N'y aurait-il pas d'alternative pour « Babylone »?

Le théâtre du Chapeau Rouge, qui a son quartier général à Avignon, nous donne là une grande leçon d'interprétation. Les comédiens jouent avec le plaisir de a théâtralité; dans un décor nu, ils sont le théâtre lui-même, et le coup de grâce est que chaque individualité communique son talent et sa jouissance de jeu à son partenaire. Vraiment excellents ces Catherine Frot qui vient d'obtenir, avec Michel Bouquet, le prix français d'interprétation théâtrale), Yann Collette, Jean-Pierre Darrousin, Alain Gautre, Noël Herr, Daniel Jegou, Clarisse Dernout.

Tragédie classique et punk à parfum d'humour et de chrysanthèmes au théâtre 140 : vaut le déplacement.

LUC HONOREZ

Jusqu'au 9 février.