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Au Théâtre 140, 'Radeis' et Hugo Degreef



La Libre Belgique

22-2-1980

Au Théâtre 140

« Radeis » et Hugo Degreef

Proposé par trois mousquetaires dégingandés de cirque anachronique et un d'Artagnan rondouillard, qui parle par moments un sabir des monts Oural, ce spectacle est une véritable anthologie du comique muet, conjuguant le mime et le cinéma d'antan, la clownerie et la bande dessinée et réveillant aussi bien te rire en éclats que le pathétique.

On a parlé, à leur propos, de Tati, de Keaton, de Chaplin, bien entendu : ils ont, en effet, des affinités avec ces grands maîtres, mais ils ont également leur style et leur philosophie propres, faits de l'observation minutieuse des gestes insignifiants de la vie, additionnés d'un sourire narquois, d'une caricature à peine chargée, d'un effet de surprise qui explose soudain comme une bulle de savon.

Comme décor (qui sert également de loge pour les changements de costumes), trois petites cabines de plage montées sur roulettes et dont trois faces sont décorées différemment, de sorte qu'en les assemblant ou en les

disposant en angle, elles représentent une petite maison, un intérieur, un ciel bleu à nuages blancs. Â l'arrière, un muret de jardin qui délimite l'espace.

Voilà le […] de quelques scènes absolument anodines, mais auxquelles un clin d'oeil, une touche de non-sens donnent un curieux relief sans aspérités, comme si, par inadvertance, on caressait la vie à rebrousse-poil. De même, le rythme, généralement assez lent, engourdi dans une somnolence de ralenti, s'anime soudain comme par une décharge d'inspiration pour se transformer en un petit ballet burlesque de gestes d'impuissance (on se gratte l'oreille, se tripote le nez, se frotte le ventre, hausse les épaules, soulève le pied) ou pour mimer une de ces poursuites syncopées de flic et voleur sur fond de musique haletante, chère au cinéma muet.

Impassibles, sauf parfois le regard et, dans une scène remarquable, leur nez rouge de clown, les quatre Flamands Jan, Dirk, Jos et Pat de Radeis font des niches à la vie de tous les jours en lui imposant une surréalité déroutante (le pain du petit déjeuner est vert, les œufs et le café sont rouges) et au spectateur, en faisant des accrocs inattendus à la logique de sa vision ou en allant, précisément, jusqu'au bout de cette logique : si l'on joue au badminton et qu'un volant blesse l'un des joueurs, n'est-il pas logique que ce volant, au renvoi, soit rouge de sang?

Si le génie consiste à parvenir à créer une chose fascinante et un peu mystérieuse d partir de rien, et surtout à contrôler à tout moment les idées qui surgissent sans se laisser dominer par elles, les Radeis sont incontestablement géniaux non pas comme Shakespeare, mais comme Puck, non pas comme Mozart, mais comme Papageno qui, lui aussi, connaissait parfois la mélancolie.

L.-G. T.

(Ce vendredi à 20 h 30).

Auteur L.-G. T.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Radeis wegens ziekte [Pour cause de maladie]

Date(s) du 1980-02-26 au 1980-02-29

Artiste(s) Radeis

Compagnie / Organisation