Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, Solitude à New York avec 'Mabou Mines'



La Libre Belgique

3-10-1980

Au Théâtre 140

Solitude à New York avec « Mabou Mines »

Plus encore qu'en Belgique, il y a des maniaques du téléphone public a New York. Des gens qui, dans une alvéole de plastique translucide, ont toujours l'air d'avoir besoin d'être pendus a un cornet, de composer des chiffres sur un cadran, et de contacter la moitié de la ville pour on ne sait quoi. Pour meubler leur solitude? Pour faire taire leur angoisse? Pour sortir d'un guêpier?

En tout cas, c'est à partir de pareil instantané, banalement urbain, mais riche en pouvoir de suggestion, que s'articule le spectacle de « Mabou Mines », importe d'une scène d'Off-Broadway à Bruxelles, par les soins de Jo Dekmine, au « 140 ».

Dans la pénombre trouée d'un violent éclairage, un homme seul (Bill Raymond) jongle non pas avec un, mais deux téléphonés. Il tient deux conversations a la fois, tantôt, il abandonne un interlocuteur pour l'autre, il se fourre momentanément un appareil en poche, le reprend, recommence la causette interrompue, etc. Ce que l'on entend, c'est du « slang », de l'argot newyorkais, des formules toutes faites (« What's the point? », « Hold on », « I mean », « Listen man »...) qui n'ont d'ailleurs guère d'importance. On serait même tenté de dire qu'il est peut-être préférable de ne pas saisir exactement la portée des propos...

L'important, en l'occurrence, c'est la « musique » des voix, changeantes, différentes, aux timbres acrobatiques. C'est également la marionnette que Bill Raymond manipule à l'instar de maints ventriloques : un paumé en blue-jeans et blouson de cuir, avec lequel il fait corps et auquel il donne vie, nerveuse, précipitée, embarrassée, menaçante...

Il s'agit, en fait, d'un renouvellement de deux genres combinés, le ventriloquisme et la marionnette. C'est d'une précision, d'un professionnalisme, d'une efficacité frisant une perfection phénoménale. Justement. Qu'il s'agisse de grands sportifs, de machines à battre des records, de siffleurs, de champions de l'ocarina, les phénomènes finissent, presque inmanquablement, par buter sur un redoutable obstacle. Pendant un quart d'heure, ils fascinent, ils éblouissent, mais leur sac se vide rapidement. La lassitude commence à pointer. Très curieusement, la petite heure de prestation et de « théâtre ouvert » de « Mabou Mines » parait à la fois très courte et très longue... On ne peut qu'admirer la virtuosité, l'adresse du montage « synchro », l'originalité de l'expérience, et l'on ne peut se défendre, en même temps, de quelque sensation de fastidieux...

A voir, de toute façon. Ce n'est pas tous les jours qu'un souffle américain balaie les tréteaux de notre capitale. Les représentations durent jusque dimanche…

Jean PIGEON.

Auteur Jean Pigeon

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Un prélude à Mort à Venise

Date(s) du 1980-10-01 au 1980-10-05

Artiste(s) Mabou Mines

Compagnie / Organisation