Archives du Théâtre 140


Les enfants récalcitrants de Carolyn Carlson et de Buster Keaton



Le Soir

27-11-1980

Les enfants récalcitrants de Carolyn Carlson et de Buster Keaton

Il faudrait pouvoir se regarder plus souvent. Pas devant la glace de la salle de bains, non, ni chez la modiste : ça, ce n'est pas se regarder, c'est prendre la pose de son rêve secret. Je vous parle du corps qu'on trimbale tous les jours que Dieu fait, à la ville, au naturel, avec ses petites disgrâces et ses gros bourrelets, ses gênes énormes et ses blocages minuscules. Voir celui-là, aucun miroir n'y suffira : c'est l'affaire d'un objectif indiscret, de la caméra invisible, ou, mieux, du crayon acerbe de la caricature. Et là, justement, on va être gâtés!

Car il y a mieux encore que les instantanés du caricaturiste à main levée : le dessin animé au pied levé de ces danseurs de « contredanses » que le Théàtre 140 met au menu de sa fin d'automne: Peter Morin et ses voyous en goguette, Farid Chopel et ses aviateurs en bordée. Pensez très fort à Buster Keaton ou Chaplin...

Si vous avez feuilleté le « Bve bye, bye baby, bye bye » de Nik Cohn et Guy Peellaert, ce superbe album à colorier du grand rêve rock, il ne vous est pas interdit de deviner de quoi il retourne dans « Listen darling, was it really a sweetheart teatime? » : ni comédie musicale rock'nrollesque (un « West Side Story » revisité par les ironies de la crise mondiale), ni hommage à Gene Vincent et Elvis (un documentaire dans la ligne « On achève bien les chevaux »), mais plutôt un regard pervers de banlieusards du rock sur leurs propres nostalgies et la fièvre des Cendrillon du samedi soir.

Peter Morin, un transfuge jovial du G.R.T.O.P. de Carolyn Carbon, et deux acteurs de télévision français Anne de Broca et Philippe Levêque, racontent ainsi avec le geste, sur un ring de boxe qui a tout à faire là, la violence exotique du musée twist et des copains de sortie.

Si vous pouvez vous représenter le mime saugrenu que feront à leurs voisins de rameau les petits oiseaux partis tôt matin contempler dans une cour de caserne le salut au drapeau, vous voyez peut-être où veulent en venir Farid Chopel et Ged Marlon avec les gestes dégingandés et le petit sourire mécanique de leurs « Aviateurs » en permission : drôles d'oiseaux délirants, suspectes marionnettes sans ficelles, revues et nullement corrigées (le prosaïsme cruel de ce décodage!) par un nouvel observateur sardonique.

Rock le soir, ploucs le jour : il faudrait pouvoir se regarder plus souvent!

DANIEL DE BRUYCKER.

Du mardi 25 au samedi 29 novembre, « Listen darling, was it really a sweetheart teatime? », au Théâtre 140. Du mardi 2 au samedi 6 décembre, « Les Aviateurs », aux Halles de Schaerbeek.

Auteur Daniel De Bruycker

Publication Le Soir

Performance(s) Listen darling, was it really a sweetheart teatime?

Date(s) du 1980-11-25 au 1980-11-29

Artiste(s) Peter MorinAnne de BrocaPhilip Levêque

Compagnie / Organisation