Archives du Théâtre 140

La Libre Belgique

5-2-1981

Spectacles

« M- 7 Catalonia » au 140 :

Pour que la Catalogne survive têtue et authentique

La pièce a été créée à partir d'une petite « fable d'anticipation » imaginée par Albert Boadella, l'auteur et metteur en scène de « M-7 Catalonia » : la Catalogne, vaincue par les invasions touristiques et économiques des mondes saxons et modernes, y perd sa culture et son identité et devient ce terrain neutre et plat aux usages standardisés, aseptisés, sans odeur et sans chaleur. Des anthropologues, soucieux d'exhiber les vestiges des traditions révolues, creusent jusqu'à découvrir les quatre derniers représentants d'une civilisation éteinte. Des vieillards d'après lesquels la science dédaigneuse se livre à la dissection d'une société.

Boadella qui a connu de nombreux démêlés avec les autorités espagnoles en 1977, emprisonnement et exil, a voulu dénoncer deux fléaux de destruction. D'une part, l'Etat centralisateur et uniformisant de son pays qui ne peut intégrer les particularités d'une communauté sans les aplanir et les dissoudre. D'autre part, l'emprise des géants du Nord extérieur qui imposent, à coups de tentations, un mode de consommation nouveau, et raffle en échange le patrimoine local des idées, des sentiments et de l'authenticité d'un peuple.

L'alarme est donnée en forme de comédie. Doctor Noguera Grau et Doctor Plana River sont deux longues échalottes verdâtres et futuristes qui révèlent mondialement à l'univers de la science les quatre curiosités-cobayes que l'on touche et l'on tâte avec des gants anti-microbes. Et dans la salle, nous sommes devenus le public érudit de la conférence « sur l'application pratique des cultures anéanties dans la planification générale du rapport Wallace-Muller ».

Amparito, Cisco, Jaume et Marti, trois hommes, une femme, sont les souris blanches de l'expérience qu'on replace dans les différents contextes de leur vie quotidienne examinée à la loupe, à distances et avec des pincettes. En réalité, il s'agit de deux concepts de vie qui se heurtent dans la caricature : d'un côté, la conception anglo-saxonne de la vie (science, organisation, hygiène, perfection, cohérence) et de l'autre, l'esprit méditerranéen qu'on projette vieilli et décadent mais animé d'imagination, de truculence, de vivacité et d'humour, passant sans transition des choses obscènes aux choses sacrées.

« Nous avons observé une réaction particulière et spontanée à certains sons de la part de ces individus ». Bruit métallique de la monnaie qui court sur le plancher. Nos quatre larrons se ruent sur le sol. « C'est l'attitude

dite de la cueillette des champignons ».

La langue passe du compréhensible à l'inaudible. Ce mode inventé, supposé saxo-catalan, est en fait ce qui nous transporte de l'univers des voix à celui de l'image selon qu'on saisit ou qu'on s'y perd. Stratagème calculé de Boadella qui sélectionne ainsi des moments privilégiés pour nous faire apprécier un théâtre avant tout très visuel.

Cette pièce est un travail d'observation impressionnant et un subtil compte-rendu d'un tempérament de sud. Les comédiens catalans de l'Els Joglars incarnent l'indiscipline, la naïveté, la tendresse, la cruauté avec beaucoup, beaucoup de cette impétuosité des pays de soleil.

Avec « M-7 Catalonia », nous sommes mis en face d'une fantaisie qui dérange parce qu'elle est tapageuse, têtue et instinctive. Boadella en parle parce qu'elle est riche...

Francine LEGARE.

(« M-7 Catalonia » est présenté jusqu'au 8 février inclus au Théâtre 140, avenue Eugène Plasky, 140. On pourra le voir ensuite à Tournai le 10, à Turnhout le 11, à Namur le 12 et au Sart Tilman le 13.)