Archives du Théâtre 140


Zarathoustra par 'Ariadone', cauchemars de femme



Le Soir

?-11-1981

Zarathoustra par « Ariadone », cauchemars de femme

Femmes-fleurs, non pas franchement carnassières ou vénéneuses, mais morbides et belles à la fois, telles des orchidées; ou peut-être femmes-plaies, suintant équivoquement avec et sans grâce... Femmes-enfants, aux corps mal décrispés encore après l'arrachement de la naissance, ou vieilles femmes aux membres déjà recroquevillés par la gangrène de l'âge? Femmes-femmes tout à l'heure, figures d'un cabaret pervers, femmes-bêtes tantôt, rampant en une longue déchéance. « Ariadone », l'Ariane du labyrinthe!

Nous frappe d'emblée, avec ce Zarathoustra à découvrir au Théâtre 140, la grande diversité du butoh, cette école du geste viscéral à l'avant-garde de la danse japonaise : tout ce qui, avec « Sankai Juku » l'an dernier, était pose (splendide) ou image (d'un luxe plastique étonnant), dévoilées lentement en longues séquences hiératiques, repose chez « Ariadone » sur une complexe partition de mouvements saccadés et de physionomies grimaçantes. Il est vrai que Carlotta Ikeda est issue de la danse moderne et que le spectacle a été largement élagué à l'intention du public européen...

Mouvements larvés ou désordonnés, cependant, et visages constamment crispés, sans regard, de sorte que rien ne change en fin de compte dans ce grouillement reptilien et ces faciès simiesques; on en revient au temps étiré, propre aux traditions théâtrales de l'Orient. C'est dire aussi qu'il serait vain d'y chercher toute trace d'une chronologie. L'anecdote fait défaut : ni le héros de Nietzsche, ni Ariane ne figurent ici, tout au plus sait-on qu'il s'agit d'un rêve, peuplé d'images cauchemardesques, de fantômes vaguement mémoriaux, de symboles qui n'en sont pas vraiment. Ne pas chercher à faire sens de ce fatras énigmatique!

Mais se laisser envahir par l'humeur de souffrance qui émane de tout ceci, toucher du doigt la pitoyable déchéance de « la servante rituelle » (un solo d'Ikeda, cruel et poignant), jubiler avec les « diablophiles » dans leurs jeux de fillettes, s'inquiéter des mille images de la naissance, ou de la mort qui traversent le spectacle. Et ressentir, peut-être, montant du fond de ce bestiaire tourmenté où sans doute rien n'est gratuit, la somme des douleurs qui font la femme, en des gesticulations dont chacune semble raviver quelque ancienne cicatrice. Un musée Spitzner de la féminité?

DANIEL DE BRUYCKER.

Les sept danseuses d'« Ariadone » jouent Zarathoustra jusqu'au 14 novembre, à 20 h 30 au Théâtre 140.

Auteur Daniel De Bruycker

Publication Le Soir

Performance(s) Zarathoustra

Date(s) du 1981-11-04 au 1981-11-14

Artiste(s) Ariadone

Compagnie / Organisation