Archives du Théâtre 140


Ariadone au Théâtre 140. L'avant-garde féminine au Japon



La Libre Belgique

8-11-1981

Ariadone au Théâtre 140

L'avant-garde féminine au Japon

Il y a un an, cinq acteurs japonais présentaient au Théâtre 140 un spectacle intitulé « Sankai Juku ». Ce fut un éblouissement fugitif pour ceux qui virent son étonnant mélange d'ascèse et de fantasmes : il ne resta que trois jours à l'affiche. Aux dernières nouvelles, nous aurions la chance de le revoir en mai 1982. En attendant, le public attentif à la métamorphose des formes, à l'esprit de l'Asie ou aux subtiles imprégnations mutuelles de l'Orient et de l'Occident, sortiront heureux des représentations que le groupe Ariadone assure en ce même Théâtre 140 jusqu'au 14 novembre.

Le groupe Ariadone, né en juillet 1974, est la seule troupe de danse d'avant-garde japonaise composée uniquement de femmes. Il est animé par Carlotta Ikeda qui a suivi un cours de danse moderne de l'école de Martha Graham et a participé à de nombreux spectacles pendant dix ans, avant sa rencontre avec Tatsumi Ijikata, l'initiateur en 1968 de la danse Butoh, dont l'essor ne fait que s'affirmer parmi les jeunes au Japon. La compagnie Ariadone vient pour la première fois en Europe. Elle a commencé sa tournée par Bruxelles.

Ariadone se réfère dans son titre à Ariane, celle qui donna à Thésée le fil lui permettant de descendre aux enfers — mais ces enfers ne sont-ils pas la traduction mythologique des labyrinthes de notre vie intérieure? Ce serait en tout cas un des sens que l'on pourrait donner à un spectacle qui en appelle, nous dit-on, aux ténèbres de l'origine, aux peurs et aux séductions des voyages initiatiques. Mais que cette allusion à la Grèce antique n'induise pas à de fausses conclusions : c'est dans les labyrinthes d'une conscience nippone et dans un style qui mêle la modernité gestuelle à la tradition Kabuki que sept femmes nous entraînent pendant deux heures.

Kabuki donc, mais aussi des influences venues d'Occident : des lenteurs formelles qui rappellent Bob Wilson, un féminisme (mais est-ce bien cela?) qui fait penser à Pina Bausch. L'essentiel pourtant nous paraît être, à travers un rituel minutieux et raffiné, l'éclatement d'une sensibilité, d'un lyrisme, d'une angoisse, d'une souffrance, d'un bonheur qui dérangent et fascinent, troublent et émeuvent, on ne comprend pas toujours tout, et même on peut ne pas tout aimer, mais on quitte la salle les yeux lourds d'inoubliables images.

La première partie nous avait laissé un peu sur notre faim, et nous avait paru vaciller parfois entre l'infantilisme des bébés et l'hystérie des singes. Mais après l'entracte, deux moments superbes (une long solo de Carlotta Ikeda elle-même, puis l'évocation d'odalisques ancrées à la toile d'un Ingres japonais, qui paraissaient attendre la pluie d'or que Zeus fit tomber sur Danaë) nous subjuguèrent.

Jacques FRANCK.

Auteur Jacques Franck

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Zarathoustra

Date(s) du 1981-11-04 au 1981-11-14

Artiste(s) Ariadone

Compagnie / Organisation