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Elle voit des nains partout: le dessous pas très frais d'un conte de fée!



Le Soir

2-1-1982

Elle voit des nains partout : le dessous pas très frais d'un conte de fée!

On avait cru que Blanche-Neige était un joli conte écrit pour les enfants. Depuis que les psychologues sont passés par là et les psychanalystes, montrant que rien n'est innocent et surtout pas les histoires destinées aux enfants, les adultes se bousculent pour voir ce qui se cache derrière ces « féeries ».

Ils ne seront pas déçus puisque Elle voit des nains partout « féérie dégoûtante » du Français Philippe Bruneau fait de Blanche-Neige une farce plaisamment salace qui se meut dans l'énormité « bête et méchante » avec l'aisance d'un poisson dans l'eau.

Dès que le rideau se lève (1) le ton est donné : parodiant la manière bêlante dont Grimm est raconté aux enfants depuis des décennies et la poésie sucrée de certain théâtre pour la jeunesse, la pièce de Bruneau fait rebondir l'histoire en la truffant d'insanités.

Il était évidemment tentant de donner un coup de torchon sur tant de mièvrerie : gageons que les enfants les plus éveillés y trouveront leur compte! Gotlib, le célèbre dessinateur français de bande dessinée s'était déjà penché, sur la tendre Neige, la pourfendant de son humour si sainement répugnant, et dessinant des nains lubriques plus occupés à la poursuivre pour faire des galipettes qu'à chanter en rentrant au boulot.

Si la pièce ne parvient pas à cette intensité caricaturale, elle n'en est cependant pas loin, merveilleusement interprétée par des acteurs qui prennent un évident plaisir à trousser le conte de leur enfance. L'apparition de Blanche-Neige, adolescente, dans un décor d'aube naissante parmi les fleurs et les petits oiseaux est, à elle seule, une trouvaille : la niaiserie et les ravages d'une libido galopante trouvent dans ce virage en forme de cœur (encadré, comme de juste, de boucles noires) son expression la plus parfaite!

Mais le meilleur gag de la pièce, c'est son écriture. Car elle est écrite en alexandrins, en vers de douze pieds (de nez) en vers de caramel dont je vous recommande la formule. Un exemple, en passant. Le roi interroge le cuistot :

« Pour qui sont ces canards

Qui cuisent dans la cocotte

Parmi les épinards et le jus de carotte? »

Tout le texte est à l'avenant. Mais, faut-il le préciser, les considérations culinaires sont plus rares que les références au corps de Blanche-Neige, ce corps que la méchante fée a transformé en siège de toutes les obsessions sexuelles. Même les nains promènent sur cette carnation d'ivoire leurs langues rapeuses; la donzelle, il est vrai, avait déjà donné son c... à Merlin l'Enchanteur! Même le Petit Poucet — abandonné à son triste sort dans les circonstances que l'on sait — et devenu créature hybride, ne résiste pas au plaisir de « couvrir » la « blanchasse » jeune fille pendant qu'elle est censée dormir en attendant le baiser du prince Charmant.

Le prince Charmant... Ici encore, Bruneau donne un coup de pouce à la vérité historique et la baguette magique se révèle moins puissante qu'on ne croit. Au lieu du suave jeune homme tant espéré par une Blanche-Neige en manque, ne voit-on pas venir un homosexuel anglais bien loin de pouvoir assurer la relève!

Bref, tout cela ne navigue pas dans un océan de subtilité mais c'est merveilleusement troussé (encore!) : on rit à tous les coups et on sort du théâtre en remerciant Dieu d'avoir inspiré à Jo Dekmine cette gauloiserie contemporaine...

DANIÈLE GILLEMON.

Théâtre 140, jusqu'au 9 janvier, à 20 h 30. Location : 734.46.31.

Auteur Danièle Gillemon.

Publication Le Soir

Performance(s) Elle voit des nains partout

Date(s) du 1981-12-30 au 1982-01-09

Artiste(s)

Compagnie / Organisation La Compagnie Philippe Bruneau