Archives du Théâtre 140


'Pupi e fresedde' au Théâtre 140. Don Juan à travers quatre siècles



La Libre Belgique

25-5-1982

Spectacles

« Pupi e fresedde » au Théâtre 140

Don Juan à travers quatre siècles

Le Théâtre 140 accueille du 25 au 28 mai, à 20 h 30, le groupe italien Pupi et Fresedde, né en 1976 de la rencontre entre quelques musiciens du Sud de l'Italie (Pouilles, Sardaigne, Calabre) et du jeune metteur en scène Angelo Savelli, issu de l'université de Florence et passionné de théâtre populaire méridional. Ensemble, ils ont cherché à en retrouver les sources et les formes, mais avec le souci d'éviter les naïvetés du « folk-revival » et l'ambition' d'explorer de façon inventive la psychologie des profondeurs, l'anthropologie et le théâtre musical. En 1980, la compagnie s'est transformée en coopérative et a ouvert son propre théâtre à Florence.

C'est dans cette perspective qu'il faut situer le spectacle sur Don ]uan que la troupe présente ces jours-ci au Théâtre 140. Tout commence le jour de la fête des morts (2 novembre) dans un pays méditerranéen : après les prières et le repas rituel, des comédiens représentent l'histoire de don Juan (ce fut longtemps la tradition en Espagne!). Mais la représentation à laquelle nous, public, nous assistons, n'est pas seulement cette histoire, mais aussi l'histoire de cette histoire à travers les diverses configurations de la comedia dell'arte et du romantisme byronien, du libertinage métaphysique et de l'opéra bouffe.

Le metteur en scène Angelo Savelli a, en effet, écrit le texte de son spectacle au départ de pièces, de poèmes, de réflexions philosophiques et de scénarios de comedia dell'arte du XVIIe siècle (Molière a découvert le mythe de don Juan par les comédiens italiens), et en s'inspirant tour à tour de Tirso de Molina et de Goldoni, de Molière et de Pouchkine, de Byron et de Musset, d'Apollinaire et de Kierkegaard, ou en se référant à des oeuvres musicales de Acciaiuoli (1669). Mozart (1787), Strawinsky (1951) et autres.

Les deux grands axes de la pièce sont, bien entendu, la séduction des femmes et le blasphème de l'Au-delà, qui caractérisent don Juan. Celui-ci apparaît, en effet, à une époque où l'Europe occidentale est particulièrement obsédée par la mort et développe une conception tragique de la vie et de la religion. Mais le mythe comporte aussi un caractère essentiel de farce, comme si le rire était chargé d'exorciser les démons qui entraînent don Juan à sa damnation et qui ne pouvaient qu'inquiéter les spectateurs confrontés aux défis sexuels et religieux que multiplie le Séducteur de Séville. Le double comique de don Juan est, comme on sait, son valet qui s'appelle Leporello chez Mozart, mais qui est en fait un... Pulcinella.

Il faut avoir ces divers éléments à l'esprit pour saisir l'exacte dimension et la réelle valeur du spectacle des Pupi et Fresedde. Car l'ignorance de l'italien (or, par exemple, et c'est important, don Juan parle toscan et Pulcinella napolitain), le style populaire de jeu et de décors qui suggèrent ce que devait être un caf-conc à Naples en 1900, la faiblesse de certains interprètes risquent de décevoir le spectateur non averti. Par contre, une fois prévenu, le talent d'Ivan de Paola (don Juan) et surtout de Gigio Morra (Pulcinella), le rythme bien enlevé de l'action, l'excellent petit orchestre de sept musiciens qui joue la musique de Nicola Piovani, compositeur de cinéastes comme Bellocchio, la richesse des trouvailles du metteur en scène Savelli, le mélange fascinant de dramatisme baroque et de comique burlesque, retiennent l'attention et procurent bien du plaisir. La tournée des Pupi e Fresedde est soutenue par la Commission de la C.E.E.

Jacques FRANCK.

Auteur Jacques Franck

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Don Giovanni Napoletano

Date(s) du 1982-05-25 au 1982-05-28

Artiste(s) Pupi e fresedde

Compagnie / Organisation