Archives du Théâtre 140

La Cité

13-10-1982

La joie du théâtre

« L'Os », par la Compagnie Peter Brook

Au Théâtre 140

Une soirée sous le signe du conte africain avec en première partie un récital du chanteur et conteur Prince Abdoulaye Ciccokho et, en seconde partie, une représentation de la Compagnie Peter Brook (1) qui a connu un grand succès au Sénégal.

Il s'agit également d'un conte africain actualisé par Malick Bowens et Jean-Claude Carrière. « L'Os » conte les mésaventures du peu partageur Mor Lam lequel réclame à Moussa, son « plus que frère » habitant un village voisin à quatre jours de marche, la somme que celui-ci lui doit. Pour ce faire, il veut lui envoyer son fils-qui-a-fait-des-études porteur d'un message menaçant. Mais à la grande colère du père, le fils ne peut transcrire les onomatopées et gestes du premier. Le message non équivoque parvient tout de même à Moussa lequel, en désespoir de cause, se laisse confisquer son unique vache. Cette vache, Mor Lam doit à contre-cœur la partager avec le village, mais il se réserve le plus beau morceau, l'os avec la viande juteuse qui l'entoure (thème évidemment éloquent quant au cruel manque de protéines dont souffrent les Africains). Mais alors que Mor Lam s'apprête à festoyer avec sa femme, survient inopinément son plus-que-frère qui réclame son dû. Pour éviter une aussi triste conclusion, Mor Lam ne reculera devant aucune ruse fût-elle suicidaire, ce qui confère à ce conte un côté absurde et un humour noir — dans tous les sens du mot — extraordinairement savoureux.

Savoureux, le spectacle l'est à tous les niveaux, car la troupe internationale de Peter Brook — ce dernier ayant assumé la mise en scène en collaboration avec Malick Bowens — joue cette farce avec une force naturelle, une spontanéité, une allégresse communicatines. La joie du théâtre éclate ici grâce à des comédiens qui possèdent une maîtrise complète de leur corps et se donnent avec une générosité merveilleuse. Les meilleurs

échantillons du boulevard contemporain (d'ailleurs si souvent vulgaire et plat) pâlissent à côté d'un spectacle où la scène et la salle communient dans une même euphorie.

J.L.

P.S. C'est le moment ou jamais de signaler au lecteur la dernière livraison des « Cahiers Théâtre Louvain », ce numéro 47 étant entièrement consacré à l'art du conteur avec une étude très complète et très passionnante de Youssef Rachid Haddad. (Cahiers Théâtre Louvain. Armand Delcampe. Ferme de Blocry, Place de l'Hocaille, B-1348 Louvain-la-Louvain).

(1) Au Théâtre 140, 140 avenue Plasky à Bruxelles jusqu'au 14 octobre inclus. Réservations 02/734.46.31.