Archives du Théâtre 140

Le Soir

26-2-1983

Bread and Puppet au 140 : on vient de là, nous?

Presque dix ans après, le fameux Bread and Puppet est de retour au Théâtre 140 (jusqu'à dimanche) pour renouer en toute connivence avec un des haut-lieux de sa gloire. En quelque sorte, oui, mais pas celle qu'on espérait : grand espoir naguère, la troupe américaine est devenue un fameux repoussoir!

On retrouve le Bread and Puppet tel quel, intact apparemment et toujours enjoué au fil de ses variations foraines, mêlant géants de foire et marionnettes à la japonaise, folklore et recherche scénique, verve populaire et symbolisme moderne. Mais l'air du temps, décidément, a tourné depuis et ce qui semblait, jadis, lucide, généreux et agressif, nous paraît, aujourd'hui, un rien simpliste, un brin facile et un peu niais.

Autant ne pas se leurrer, ici non plus : les techniques naissent, vivent et meurent dans la mesure où elles portent ou non un regard neuf sur un sens inédit, et celles de Peter Schumann — quoique géniales, on ne reviendra pas là-dessus — n'ont de possibilités que limitées. D'avoir voulu les fixer contraint le Bread and Puppet à la redite ou à la paraphrase, et après The Cry of the People for Bread, les autres spectacles, dont La Tempête du nouveau-né ne pouvaient plus guère que rassembler les miettes en un petit tas de mie forcément moins substantiel, soit ici l'histoire passablement obscure à force de symboles et d'allégories emboîtées d'une petite fille en butte aux cauchemars du réel — mais ai-je bien compris?

Ce qui est sûr, c'est que lorsque le Bread and Puppet, fidèle jusqu'au bout à sa légende, rompt et partage à la fin du spectacle le pain de ferme (succulent, c'est un fait), le geste résume soudain une grosse heure de nostalgie et de passéisme passablement dérangeants. « Oui, se dit-on alors, c'était une belle aventure... » A moins que l'aventure, justement, ce soit d'oser en changer?

DANIEL DE BRUYCKER.