Archives du Théâtre 140


Avec 'La Tempête du Nouveau-Né'. Le Bread and Puppet de retour au 140



La Cité

27-2-1983

Avec « La Tempête du Nouveau-Né »

Le Bread and Puppet de retour au 140

La troupe théâtrale de Peter Shuman est l'un des nombreux cadeaux que nous devons à Jo Dekmine et à son plateau du 140. Nous avons découvert le Bread and Puppet Theater avec « The Cry of People for Meat » (« Cité » des 10/11-11-69). Nous l'avons revu sept ans plus tard: « White Horse Circus » (« Cité » du 1-10-76). Aujourd'hui, il nous propose « The Thunderstorm of the Youngest Child ». L'accueil se fait sur le « parvis » — à l'intérieur du théâtre et non dans la salle proprement dite — avec de la musique colorée, syncopée, des danses sur des échasses et la représentation de deux piécettes que l'on ne saurait mieux définir que comme des fabliaux (le Bread and Puppet a toujours entretenu avec le théâtre médiéval une relation privilégiée).

Pour ce qui est de « La Tempête du Nouveau-Né », je suis un peu réservé. Certes, on retrouve dans cette suite de tableaux les solides qualités du Bread and Puppet qui en font l'une des troupes les plus vraies et émouvantes que l'on puisse voir: la simplicité, l'humilité sans affectation, l'imagination, la variété et la qualité des poupées, la faculté de « faire parler » les matériaux les plus humbles, le don de poésie et de transfiguration. Il faut ajouter que si le Bread and Puppet donne plus à voir qu'à entendre (je ne parle pas de la musique et des sons), le texte nous est restitué en français et j'imagine que le même effort est consenti lorsque la troupe se produit en Allemagne ou en Italie... Par là, le Bread and Puppet peut se réclamer d'une véritable « citoyenneté » internationale.

Venons-en aux réserves. Cette « Tempête du Nouveau-Né » me paraît idéologiquement plus floue que les spectacles précédents. En gros, ne s'agit-il pas un peu du mythe rousseauiste du « bon sauvage » perverti par la société? Peter Shuman nous montre l'enfant que la famille, l'école, les institutions s'efforcent de « conditionner » pour en faire le parfait robot qui nous mènera à l'apocalypse. Mais peut-être la vertu d'enfance et la pureté finiront-elles par triompher des forces du mal! Tout cela est assez simpliste et ne trouve surtout pas la force expressive suffisante pour s'imposer. De sorte que le spectacle s'effiloche en une suite de tableaux qui, en soi, sont souvent beaux, poétiques et d'un grand pouvoir d'émotion. Mais leur liaison paraît arbitraire.

Le Bread and Puppet reste un théâtre qui se caractérise par la profusion des signes. Mais si le « signifiant » y est fascinant en soi, le « signifié » se dérobe souvent. Ce qui veut dire en gros que les deux éléments du signe ne fonctionnent pas tout à fait harmonieusement; que la chose qui désigne ne renseigne pas suffisamment clairement sur ce qui est désigné. Cet obscurcissement du signe se traduit aussi par une certaine déperdition du sacré. Le Bread and Puppet semble se référer moins qu'auparavant à une tradition iconographique précise pour s'efforcer à une actualisation et à une laïcisation. Plus grave, le signe s'est épaissi et la lisibilité du spectacle en souffre. On comprend le sens général de la « pièce », mais on perd parfois le fil d'ariane qui devrait nous guider tout au long de cette tapisserie d'images.

Le résultat n'est pas tout à fait convaincant. Mais bien entendu, faute d'avoir suffisamment fréquenté la troupe de Shuman, nous ne saurions dire si ce spectacle s'inscrit dans une évolution et s'il est, de ce point de vue, particulièrement représentatif du travail actuel de l'équipe.

Ma légère déception doit se jauger à la mesure de l'admiration que j'éprouve pour ce groupe qui continue de partager le pain avec les spectateurs à l'issue du spectacle. Le Bread and Puppet sera encore au Théâtre 140 les 26 et 27 février. Il serait regrettable de le manquer.

Jean LEIRENS

Auteur Jean Leirens

Publication La Cité

Performance(s) The Thunderstorm of the Youngest Child

Date(s) du 1983-02-25 au 1983-02-27

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Bread and Puppet Theater