Archives du Théâtre 140

Le Soir

17-5-1983

Troupe colombienne au 140 : première en Belgique!

Après Pékin, Londres et Rotterdam, le théâtre Libre de Bogota débarquera au 140 pour deux jours seulement. C'est la première fois qu'une troupe colombienne vient chez nous — et quelle troupe! — puisqu'il s'agit d'un des théâtres les plus engagés d'Amérique latine. Trente-six comédiens, musiciens et danseurs pour une fresque colorée et populaire, tragique et joyeuse à la fois, tout imprégnée d'une société où la misère, la violence, l'humour et aussi le sens critique se marient quotidiennement.

Los Andariegos — les itinérants — sont ces paysans qui, sous le poids des dettes, abandonnent leur terre pour aller récolter le café, le coton ou le riz chez les grands propriétaires. Le drame musical que le théâtre Libre de Bogota a choisi pour sa tournée internationale traduit l'histoire du peuple colombien, avec ses rêves, ses souffrances, sa soif de justice; mais il montre aussi toutes les facettes d'une culture qui reste méconnue en Europe. Des chants populaires, des danses traditionnelles, un discours « enlevé » qui, nous dit-on, n'est pas sans similitude avec celui du théâtre Campesino de Californie ou de la troupe d'Ariane Mnouchkine en France.

Théâtre politique donc, mais non doctrinal, insiste Ricardo Camacho, directeur de la troupe et professeur à l'université de pédagogie nationale à Bogota : « En Colombie, nous jouons aussi bien devant les étudiants que devant les paysans. Nous nous sommes même déjà produits sur des bateaux, sur des tables de billard! Contrairement à d'autres pays latino-américains, la Colombie n'a pas de tradition théâtrale. Pendant la guerre, des troupes espagnoles venaient jouer chez nous le répertoire de boulevard. A la fin des années cinquante, c'est, en fait, la télévision qui a suscité la création de pièces nationales, et c'est un Japonais qui a formé les premiers

professionnels avant d'être déporté pour subversion par la dictature militaire de l'époque. Aujourd'hui, malheureusement, la télévision est submergée par les productions américaines, et les mécènes privés appuient le théâtre de divertissement quand ils n'« importent » pas des divas italiennes, qui leur coûtent des fortunes! »

Si les auteurs de théâtre sont peu nombreux en Colombie, de même que les cinéastes, une personnalité domine toutes les autres, bien entendu : c'est le romancier Garcias Marquez : Il est aussi célèbre que Bolivar chez nous, même si ses positions politiques sont très discutées.

Le théâtre Libre de Bogota, surtout constitué d'enseignants et d'artisans — il est impossible de vivre du théâtre en Colombie! — sera au 140, ces 18 et 19. L'occasion de tester la réceptivité du public belge face à un spectacle coloré et chaleureux, qui vient de susciter l'enthousiasme des Chinois et des Londoniens, et de permettre à la toute jeune association belgo-colombienne de se faire connaître.

MICHÈLE JACOBS.