Archives du Théâtre 140


Du théâtre libre à la colombienne…



Le Drapeau Rouge

9-6-1983

Du théâtre libre à la colombienne...

Jo Dekmine est vraiment un personnage déroutant. Le directeur du 140 avait, les 18 et 19 mai, invité pour deux soirs le « Teatro libre de Bogota » dont les préoccupations sont assez éloignées des siennes, plutôt orientées vers l'avant-garde et un certain esthétisme contemporain. C'est que le « Teatro libre » de Riccardo Camacho est d'abord un théâtre social, profondément engagé dans les réalités colombiennes.

La pièce s'intitule Los andariegos qu'on pourrait traduire par Les itinérants, ceux qui vont (andar en espagnol signifie aller) louer leurs bras, des ouvriers saisonniers en somme. C'est l'histoire d'une famille, les Montero. Un des fils rêve de gagner le tour de Colombie (le cyclisme est très populaire là-bas), un autre a pris conscience de l'exploitation des siens et est devenu communiste, un autre a dû quitter la région après avoir ridiculisé un cacique local, la fille épouse un ouvrier après avoir refusé les avances du grand propriétaire qui les a embauchés pour la récolte du café…

Bref, la vie de ces ouvriers saisonniers, obligés d'aller d'une plantation à l'autre, de travailler dur pour des salaires de misère, de subir les brimades des milices patronales qui iront jusqu'à assassiner un des vieux ouvriers. Une vie qui n'a rien de drôle, on en conviendra, et pourtant, il y a là-dedans toute la joie de vivre d'un peuple, un sens de la fête, de la musique, de la farce, du bon tour à jouer.

Une sorte de bouillonnement. De tourbillon. Et c'est bien l'impression que laisse le spectacle. Il faut dire qu'il réunit en une suite de tableaux une trentaine de comédiens et de comédiennes, que tout cela tourne rond, comme un ballet bien mis au point, sans la moindre longueur ni temps mort. Un travail de professionnels même si tous ne le sont pas. Aussi une bouffée d'air frais passant sur le 140 plus habitué à des spectacles dits intellectuels.

Peut-être y manquait-il ce petit quelque chose en plus qui fait les grandes oeuvres. La force douloureuse du « Teatro campesino » avec lequel le « Teatro libre » n'est pas sans parentés. L'exagération, jusqu'au délire verbal, d'un Gabriel Garcia Marquez, avec le souffle épique qui traverse Cent ans de solitude. Mais tous les villages colombiens ne s'appellent pas Macondo, et tous les Colombiens ne s'appellent pas Garcia Marquez...

Francis CHENOT.

Auteur Francis Chenot

Publication Le Drapeau Rouge

Performance(s) Los andariegos

Date(s) du 1983-05-18 au 1983-05-19

Artiste(s) Teatro libre de BogotaRiccardo Camacho

Compagnie / Organisation