Archives du Théâtre 140


Le groupe Epigonen aux Halles de Schaerbeek: 2x3=6 : une 'démonstration' sans failles



La Libre Belgique

1-12-1983

Spectacles

Le groupe Epigonen aux Halles de Schaerbeek :

2 x 3 = 6 : une « démonstration » sans failles

Deux fois trois caisses, empilées les unes sur les autres; les six appartements d'un immeuble style clapier; douze cas de frustrations, de comportements stéréotypés, douze exemples de vies tragico-miteuses : la démonstration est d'une rigueur sans surprises, toute mathématique.

Que reluque le spectateur placé devant cet immeuble qu'on dirait sorti d'une exposition Andy Warhol? Quand les portes s'ouvrent, dévoilant avec obscénité les six intérieurs, plus moyen de se réfugier derrière la solitude du voyeur honteux fasciné par les trous de serrure : on voit tout.

Au rez-de-chaussée, un bistro-crado, sa patronne aguicheuse et sa clientèle - exclusivement masculine — de paumés du grand soir autant que du petit matin.

Au premier, deux couples : à gauche, ceux qui se sont trompés d'histoire d'amour, et se retrouvent au bout de cinq, dix, ou cent ans de vie commune étriquée, fatigués l'un de l'autre, chacun exaspéré par sa moitié d'orange; à droite, ceux qui n'en sont pas encore à ce stade, et demandent une ration supplémentaire de cette passion folle qui les rend fébriles.

Au deuxième : deux célibataires; le premier, un flippé suicidaire maniaque des armes, le second, un athlète obsédé de culturisme. Tout en haut, sur les toits, faisant irruption dans l'une ou l'autre cage (jusqu'à la chute mortelle) : l'intrus, faux cambrioleur maladroit et touchant.

Toutes les marionnettes se meuvent au ralenti; ou en accéléré; parfois l'image se fige, à d'autres moments la séquence - tranche de vie se répète inlassablement, à l'endroit, à l'envert, à l'endroit. Cinéma muet, c'est comique.

Cette douzaine de clichés - presque - vivants, est régulièrement secouée par les mêmes spasmes, les mêmes convulsions épileptiques : quotidien ronronnant ou hystérie périodique, pas de différence, aïe! le microscope de l'entomologiste est aussi notre miroir de chevet.

Théâtre sans paroles, drame sordide et drôle de l'enfermement; de-ci, de-là, des cris, des vocalises, le souffle d'un aspirateur, de la musique à la Kurt Weil jouée par les piliers de bar du rez-de-chaussée. Mécanique plaquée sur du vivant : le groupe Epigonen a sûrement pris des leçons au Living Theatre et chez Tadeuz Kantor.

Si le titre de la pièce (« Démonstration ») fait redondance avec le didactisme du propos, sur le plan du langage théâtral le message de ces Anversois talentueux passe bien et le but est atteint. On ne peut même pas dire qu'ici subtilité et efficacité sont des sœurs ennemies. Car si on rit, ça n'empêche pas les petits veinards qui habitent une maison de se persuader en partant que « ça n'arrive qu'aux autres ».

Stéphane JOUSNI.

Aux Halles de Schaerbeek jusqu'au 3 décembre, à 20.30 h.

Auteur Stéphane Jousni

Publication La Libre Belgique

Performance(s) De Demonstratie

Date(s) du 1983-11-29 au 1983-12-03

Artiste(s) Epigonen

Compagnie / Organisation