Archives du Théâtre 140


De Demonstratie: regard en chantier



Le Soir

2-12-1983

De Demonstratie : regard en chantier

Cette « Démonstration » commence comme un mauvais polar retouché par Bob Wilson : lentement, très lentement, un rôdeur patibulaire hante les abords d'une haute pile d'énormes caisses d'emballage dressée au beau milieu des « petites » Halles de Schaerbeek...

Mais le suspense fait long feu : bientôt les caisses s'ouvrent toutes grandes sur les entrailles d'un immeuble tristement typique — café au rez-de-chaussée, où la patronne sert du lait à quatre clients aux mines d'enterrement; appartements au premier, où deux couples figurent, à droite la passion des débuts, à gauche l'ennui de la suite; mansardes au second, où s'agitent un écrivain paranoïaque et passablement suicidaire et un body-builder frénétique; les toits, enfin, où un étrange monte-en-l'air collectionneur d'allumettes dispose ses boîtes parmi les cheminées. Saisissant coup d'oeil! Les douze acteurs d'Epigonen campent leur Comédie humaine avec une économie de moyens qui touche droit au but, dans ce décor habilement bricolé : la vraie vie est-elle autre chose que le ressassement de quelques clichés nauséeux qui nous poursuivent en même temps qu'ils nous ennuient? Mais là aussi est le grain de sable dans la machine des Anversois : le premier ravissement passé, leur « Démonstration » à un seul argument, faute de se donner les moyens de fasciner (en stylisant, comme Chopel ou Beckers, ou en sur-structurant à la façon de Wilson ou de leur condisciple Jan Fabre) commence déjà à se répéter, à lasser...

Ils gardent heureusement une carte dans leur manche, quand le chapardeur quitte son toit et se fait cambrioleur pour arrondir sa collection, déclenchant ainsi l'alarme dans tous les appartements : voici l'immeuble pris soudain d'une folle frénésie, saisi de brefs accès lyriques ou saccadant le même geste au fil d'un temps enrayé comme un disque griffé — mais ici aussi, hélas, une excellente idée ne suffit pas mieux à meubler la seconde demi-heure du spectacle que l'image du début à enlever la première moitié, et seuls les très beaux accents d'une musique joliment minimaliste, alternant le chœur des locataires et l'orchestre du café, aide à rallier sans trop d'ennui le dénouement. « De Demonstratie » semble bien, partout où il brille visuellement, achopper sur des problèmes de rythme et de durée — tout comme d'ailleurs, dans un registre très voisin, II Carrozzone naguère. Peut-être vaut-il mieux, au delà de ce premier spectacle d'Epigonen (déjà créé, en animation, lors de « Kaaitheater '83 »), attendre la seconde production du jeune collectif, présentée il y a peu à l'état de brouillon au Beursschouwburg et que le Théâtre 140 compterait inscrire sous peu à son programme. On aime ce regard pénétrant, cruel parfois, que les mimes-acteurs portent sur notre monde, mais il leur reste à apprendre à dépeindre ce qu'ils ont vu en maîtrisant mieux une palette plus expressive. A suivre...

DANIEL DE BRUYCKER.

Jusqu'au samedi 3 décembre aux Halles de Schaerbeek à 21 h.

Auteur Daniel De Bruycker

Publication Le Soir

Performance(s) De Demonstratie

Date(s) du 1983-11-29 au 1983-12-03

Artiste(s) Epigonen

Compagnie / Organisation