Archives du Théâtre 140


May B, de Maguy Marin au 140: au plus vrai de Beckett



Le Soir

14-3-1984

May B, de Maguy Marin au 140 : au plus vrai de Beckett

Il y a un an, commentant le spectacle de Maguy Marin et Daniel Amasch, nous déplorions qu'un soir, un seul petit soir accueillait à Woluwe-Saint-Pierre un des plus beaux spectacles du monde! Applaudi à tout rompre, May B n'avait plongé dans l'extase qu'un petit contingent de spectateurs. Cela demandait réparation, car il y avait vraiment outrage au public, au public potentiel plus important qu'on ne le croit pour ce théâtre-là...

C'est chose faite puisque May B sera donné quatre soirs au Théâtre 140. Ni ballet ni théâtre mais les deux, May B excède toutes les étiquettes. Son propos est indissociable de l'univers de Beckett dont Maguy Marin s'inspire, préférant l'esprit à la lettre. Mais quel esprit! Quelle lecture en profondeur d'un auteur qui reste parfaitement actuel, quelque soit l'anathème qui pèse sur le théâtre de l'absurde, « passé de mode ».

Si référence doit être cherchée du côté de quelque théâtre existant, c'est à celui de Tadeusz Kantor qu'on pensera : expressionnisme plastique mais aussi humour corrosif, poésie du désespoir...

Maguy Marin nous a confié que l'œuvre de Beckett, concerne très précisément la danse. Ce monde immobile, réduit à l'impuissance, ce monde paralysé crie mais on ne l'entend pas. Le mouvement — paradoxalement — est donc au centre de ses textes et le cri aussi, la parole avortée, étouffée... la difficulté de vivre dans son âme et dans son corps... Tout cela, dit encore Maguy Marin, confine au grotesque. Mais c'est aussi bouleversant, déchirant et c'est ce que j'ai voulu montrer.

Beckett lui-même pensait que la tâche de l'artiste était de trouver une « forme qui accommode le gâchis ». On ne peut mieux dire. Car les personnages de May B qui évoluent toujours sur des musiques déchirantes ou sardoniques (Maguy Marin adapte la musique des Gilles de Binche, pensant que le folklore est, comme chez Beckett, porteur d'une fatalité sans objet), ces personnages pétrifiés dans l'argile, roulés dans une blanche poussière, multiplient effectivement les tentatives pour accommoder, s'accommoder du dégât universel. Aussi la sexualité est-elle montrée pour ce qu'elle est, une « furieuse démangeaison » et les relations entre les êtres pour ce qu'elles sont : geignantes, plaintives, oscillant sans cesse entre progrès et régression, insidieuses, mauvaises, tendres, haineuses, irréversiblement solitaires...

DANIÈLE GILLEMON.

Au théâtre 140, du 14 au 17 mars, à 20h30.

Auteur Danièle Gillemon

Publication Le Soir

Performance(s) May B

Date(s) du 1984-03-14 au 1984-03-17

Artiste(s) Maggy MarinSamuel Beckett

Compagnie / Organisation