Archives du Théâtre 140


'May B' ou l'univers de Beckett transfiguré



La Libre Belgique

18-3-1984

« May B » ou l'univers de Beckett transfiguré

Ce n'est pas tout à fait une première que nous donne en ce moment Maggy Marin et son Ballet théâtre de l'Arche. « May B » a, en effet, déjà été présenté l'an dernier dans une petite salle confidentielle de la périphérie bruxelloise. Il a également été montré à Louvain, à Paris, et au Festival d'Avignon, où il lut couvert d'éloges. Mais c'était tout de même la première fois que le public bruxellois pouvait apprécier dans de bonnes conditions ce spectacle superbe, à mi-chemin entre le théâtre et la chorégraphie et dû, rappelons—le au passage, a une ancienne du Ballet du XXe siècle.

« May B », c'est tout l'univers de Beckett transfiguré par une gestuelle expressionniste - on songe plus d'une fois à l'esthétique d'un Murnau ou d'un Pabst —, outrée mais si magistralement « dansée » que la beauté est loin d'être perdante.

Les faux vieillards de Maggy Marin, vêtus de hardes informes et incolores, maquillés de glaise ou de plâtre verdâtre, éructant ou « gueulant » quelques fragments de phrases incompréhensibles — mais non sans signification - évoquent tout autant les anthropopithèques de « La guerre du feu » que les morts-vivants des films d'épouvante.

Mais soyons précis : Murnau, Jean-Jacques Annaud, ou le John Landis de « Thriller » sont références par trop cinématographiques pour donner une juste idée de ce spectacle qui emprunte avant tout au théâtre. Si l'on veut user une nouvelle — et dernière fois - de comparaison, ce serait du côté de chez Tadeuz Kantor qu'il conviendrait de situer « May B ». Celui de l'admirable « Classe morte » surtout.

Théâtre toujours : « May B » est directement inspiré de l'œuvre de Samuel Beckett. La deuxième partie du « ballet » nous donne a reconnaître Lucky tenu en laisse par Pozzo (« en attendant Godot »), l'aveugle et le paralytique de « Fin de partie », ou la vieille et grasse coquette de « O, les beaux jours ». Sans oublier l'auteur lui-même, l'ami et secrétaire de Joyce, le maître du désespoir et de l'absurde.

La magnifiaue mise en scene de Maggy Marin fait évoluer ces miserables vieillards, drôles et touchants, […] pitoyables personnages de Samuel B. : clowns et supplicies, vêtus d'habits usés, frappés d'infirmité ou de paralysie, et voués à des attentes sans nom.

Si la conclusion tarde à venir, le spectacle trouve pourtant un subtil point d'orgue dans sa seule phrase audible. La plus pertinente qui puisse se trouver si l'on garde en mémoire le sens général du théâtre de Beckett : « Fini, c'est fini; ça va finir; ça va peut-être finir »...

St.J.

Au Theatre 140, encore ce samedi.

Auteur Stéphane Jousni

Publication La Libre Belgique

Performance(s) May B

Date(s) du 1984-03-14 au 1984-03-17

Artiste(s) Maggy MarinSamuel Beckett

Compagnie / Organisation