Archives du Théâtre 140

La Libre Belgique

3-10-1985

Sur les toits des planches du 140

La Compagnie de la Rumeur bruisse, tombe et se tait

La nuit des plaisirs différents ou indifférents. On ne sait pas. Rien n'aboutit, pas d'histoire. Un fil ténu relie la succession de mouvements, de situations. Sur un toit d'opéra, la musique perce le ciel. Un immense néon éclaire la nuit chaude. Dix corps sont là et dansent. Cinq femmes, cinq hommes s'effleurent, se ratent, se fuient, se jaugent. Et leur nombre pair jamais n'amène l'harmonie. Toujours une solitude se heurte au groupe, la femme aimante n'atteindra jamais son amant, les amoureux ne pourront pas s'aimer. Attention sentiment, on gomme, mais émotion et humour, on garde. Il s'ensuit une série de petites histoires incongrues et tragiquement drôles. Le geste se répète, s'insinue, se dévie et s'anéantit, flux et reflux d'une même mer, celle immense qui a noyé tous les rêves, tous les espoirs. La muse inspiratrice de ces eaux troubles est incontestablement Pina Bausch.

Mais sa tragédie est revue et corrigée par le burlesque et l'insolite. Ses vagues de mouvement sont inversées, déconstruites puis réutilisées, sourire en coin, dans une nuit aérienne et orageuse. Et sur l'espace des toits existe une trêve du quotidien où les comédiens tenteraient de réinventer l'érotisme et l'amour, puis, échouant, se jouerait cruellement de lui. Avec le sourire, le jeu mène à la mort, à la nuit sans éveil. Les comédiens couchés sous les étoiles s'endorment vers un ailleurs, vers un nulle part. Leur petit monde suspendu au-dessus des villes, au-dessus des autres a vécu, éphémère, s'est suicidé de ses échecs, de ses solitudes. Les corps en vertige ont rejoint le vide. Et plane sur eux l'ombre assimilée de la grande chorégraphe allemande.

C.D.

Au Théâtre 140, rue Plasky. Jusqu'au 5 octobre à 8 h 30.