Archives du Théâtre 140


Tompkins au 140: tableaux 'dansé'



Le Soir

20-10-1985

Tompkins au 140 : tableaux « dansés »

Mark Tomkins et sa troupe nous arrivent tout auréolés d'une excellente réputation. Ce chorégraphe américain qui a travaillé avec Steve Paxton et Lilian Green s'inscrit dans la relève de la danse post-moderne dont on sait qu'elle n'a de cesse d'inventorier le geste et le corps dans leur dimension la plus quotidienne.

Premier volet d'un triptyque, Trahisons Men s'attache à cerner la spécificité du comportement masculin; suivront deux chorégraphies Trahisons Women et Trahisons Humen qui serviront d'antithèse et de synthèse à cette démonstration. Cette première partie se situe d'emblée dans un registre plastique extrêmement raffiné : la manière dont le chorégraphe organise l'espace et s'occupe de le meubler tout au long du spectacle fait irrésistiblement penser à la démarche de certains plasticiens ou mieux de certains photographes dont il se réclame explicitement. Tompkins est davantage requis par le cadre, la composition, l'éclairage et la dynamique du champ visuel que par l'urgence de couler son propos dans sa forme chorégraphique.

Tout le temps, nous avons l'impression de nous trouver à l'intérieur d'un tableau d'Arroyo ou de Mondrian tant l'alternance de l'atmosphère policière avec un climat purement abstrait, est prépondérante par rapport à l'enjeu chorégraphique qui, dès lors, fait figure d'ingrédient parmi d'autres. Tableau vivant, tableau en mouvement, tableau « dansé » d'une incontestable beauté visuelle et formelle, il pèche néanmoins — et c'est comme un corollaire à tant de fignolage de la mise en espace — par une froideur, une géométrisation excessive que l'humour ne parvient que rarement à briser.

Tompkins, pourtant, a beaucoup de choses à dire mais sans doute contrôle-t-il excessivement son ouvrage de sorte que l'ensemble succombe à une espèce de conceptualisation à laquelle la bande sonore offre un contrepoint un peu caricatural dans l'usage excessif qu'elle fait des bruits « concrets ». De même la gestuelle des six danseurs, tour à tour heurtée et précise, violente et cool, symétrique et dissociée, « dessine » des relations d'amitié ou d'amour, d'indifférence ou de haine à l'intérieur desquelles on n'entre pas vraiment tant la volonté esthétique est forte au détriment du vécu des personnages.

Cependant, par à-coups ou par la grâce de quelque trait fulgurant, on perçoit bien de quelle intelligence et de quelle sensibilité pareil spectacle est le fruit au-delà des reproches qu'on peut lui faire. Et on tombe d'accord avec Tompkins : tout n'est que trahison, à commencer par ces vérités intimes, dès lors qu'on les donne en spectacle et qu'on cherche à les quantifier en reports excessivement graphiques.

DANIÈLE GILLEMON.

Au théâtre 140, avenue Plasky, 1040 Bruxelles. Jusqu'au 19/10.

Auteur Danièle Gillemon

Publication Le Soir

Performance(s) Trahisons Men

Date(s) du 1985-10-15 au 1985-10-19

Artiste(s) Mark Tompkins

Compagnie / Organisation