Archives du Théâtre 140

La Libre Belgique

27-10-1985

Le jongleur de lumières

Michel Lemieu, talentueux « performer » québécois, met de la magie dans sa « Solid Salade »

Il pourrait n'être qu'une pop star de plus. Doué pour les claviers et percussionniste inventif, il compose et exécute des musiques électroniques rythmées et efficaces, au goût du jour. Et surtout, il possède une voix phénoménale, qui couvre plusieurs octaves - jusqu'au soprano - au contre-ut redoutable. A côté de lui, Malcolm McLaren et Klaus Nomi ne font plus le poids.

Il pourrait être prestidigitateur. Le ballet de formes géométriques colorées dont il s'habille et qu'il manipule comme marionnettes devant l'écran où s'impriment d'autres images, d'autres formes colorées et en mouvement, ce ballet tient de la magie. Une vraie féerie visuelle.

Un tel sens des volumes et des couleurs que l'on songe à un Vasarely animé, aux pantins d'Oscar Schlemmer.

Il pourrait être funambule ou acrobate. Car s'il lui arrive de danser comme n'importe quel petit chanteur qui se déhanche en cadence sur un rythme synthétisé, il sait aussi exécuter, et avec infiniment de grâce, des acrobaties de gymnaste chevronné.

Il pourrait être mime : il possède l'art de désarticuler son corps, de s'en faire un partenaire rien qu'en suggérant les mouvements.

Il pourrait même être clown ou en tout cas humoriste; la drôlerie montre le bout de son nez derrière ses prouesses et les dialogues absurdes, tricotés dans un sabir cocasse qu'il entretient avec lui-même ou un robot nommé Oscar, ont quelque chose d'irrésistible.

Oui, Michel Lemieu pourrait être, au choix, ceci ou cela. L'extraordinaire, chez ce jeune Québécois qui a conquis tous les publics devant lesquels il a donné son séduisant spectacle - judicieusement intitulé « Solid Salade », ce qui laisse supposer autant de confiance en soi que d'humilité - c'est qu'il est tout cela à la fois. Un vrai « performer », accompli et gracieux.

De génie — une étiquette qu'on lui a sans doute accolée un peu vite - Michel Lemieu en auréole assurément son art de jongler avec les lumières. Un projecteur, des bandes fluorescentes, un simple miroir, et il apprivoise toutes les formes et toutes les ombres; il semble valser avec elles, les enjôler, les séduire.

Et s'il a parfois ce regard désagréable des enfants à qui l'on a dit trop tôt et trop souvent qu'ils étaient surdoués, il l'illumine de cet éclat sincère et naïf du gosse qui s'émerveille devant une étoile et que deux notes de musique enchantent.

Scintillant saltimbanque de l'ère électronique, Michel Lemieu étonne et ravit par son talent à jouer et se jouer de tout. Des techniques les plus sophistiquées comme des objets les plus simples.

Un seul coin d'ombre ternit quelque peu sa fantasmagorie lumineuse : la gratuité de ses prouesses. On aimerait qu'il mette sa virtuosité au service d'une idée, d'une belle histoire. Alors, vraiment, Michel Lemieu serait vêtu de l'habit de rêve du Magicien d'Oz.

Stéphane JOUSNI.

Encore ce soir (à 20 h 30) au Théâtre 140.