Archives du Théâtre 140


Six don Juannes au 140. Les Divas de Mexico malmènent amoureusement Mozart. Couleur plaisir



La Libre Belgique

7-11-1985

Six don Juannes au 140

Les Divas de Mexico malmènent amoureusement Mozart. Couleur plaisir

Après Paris, Vienne et La Haye, triomphe mérité au 140 à Bruxelles pour les Divas, de Mexico, qui - jusqu'à dimanche - y interprètent « Donna Giovanni », version détournée en itanol (pour piano et actrices) de l'illustre opéra que Mozart (Amadeus pour les cinéphiles) composa sur un livret de Da Ponte.

DANS LE SANG. « Et si don Juan était une femme? » nous demandait Vadim en 1973 dans un film qui offrit à une éblouissante Brigitte Bardot son avant-dernier grand rôle à l'écran. Hé bien, pour la metteuse en scène et comédienne Jesusa Rodriguez, don Juan, c'est... six femmes. Six Mexicaines qui ont le théâtre dans le sang. Un sang qu'elles ont chaud comme un fleuve de lave, ainsi qu'elles nous le prouvent en brûlant spectaculaire-ment les planches une heure et demie durant. Un tempérament à vous incendier les banquises, celui de Jesusa, de Liliana, Victoria, Francisca, Astrid et Regina. Ces fantaisistes-nées qui ne renoncent à leurs costumes haut en couleurs que pour (en)chanter Mozart nues. Toutes nues.

Sans doute, les puristes de l'opéra frissonneront-ils; non pas de froid (pour les effeuillées Divas) mais face à des voix non répertoriables dans le haut de gamme… Cela dit, quelle santé! Quel feu, quel vin dans ces veines! Quelle joie de jouer chez ces clownesses ardentes! Et à joie, on préférera même le mot « plaisir » (qui est le soleil du désir), un plaisir qui passe ici à tout coup la rampe.

BEAUTE BARBARE. Six jeunes volcaniques pour incarner à tour de rôle ce séducteur de légende qui vivra son éternité aux enfers. Six mexicaines-sirènes qui évoluent dans un tourbillon d'invention visuelle et de fête flamboyante. Si des effets sont parfois faciles, beaucoup plus souvent les scènes sont émouvantes et spirituelles grâce aux clins d'oeil adressés aux maniéristes (vive le maniérisme!), du Bernin à l'Ecole de Fontainebleau, sans oublier les Cranach, de La Tour, Ingres et Goya...

La force de ce spectacle (qui a le mérite de ne pas se prendre au sérieux et de ne pas sombrer dans la menaçante vulgarité), cette force tient dans les ruptures d'accent puisque l'on passe allègrement de l'hénaurmité à la grâce (la source nue qui danse) pour en arriver à un final d'une ensorcelante beauté barbare.

Mozart (Wolfgang, pour les intimes) se retournera-t-il dans sa tombe (ou plutôt : dans la fosse commune où l'infortune le jeta)? C'est probable. Ce sera pour lui mieux voir ces six mexicaines qui ne livrent pas de son « Don Giovanni » une version sacrilège, mais une version diablement vivante. Sensuelle. Passionnée. Gorgée de sève. Un opéra-clé, un opéra-phare dont les Divas déchirent avec les dents le rideau. Un « Don Juan » qu'elles violent avec la violence de leur humour. La violence de leur amour.

Francis MATTHYS.

Au 140, du jeudi 7 au dimanche 10 à 20 h 30.

Auteur Francis Matthys

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Donna Giovanni

Date(s) du 1985-11-05 au 1985-11-07

Artiste(s) Divas (Mexico)

Compagnie / Organisation