Archives du Théâtre 140


Les Divas au '140' et Mozart dans la salle de bains!



Le Soir

8-11-1985

Les Divas au « 140 » et Mozart dans la salle de bains!

Prenez six Mexicaines hystériques, un décorum de bazar, un pianiste sur lequel de toute évidence on a tiré, et le Don Juan, de Mozart, qui ne laisse personne insensible même ceux qui détestent l'opéra. Ajoutez des œillades soi-disant subversives à la Culture avec un grand C (et à la Peinture itou), du nu, de la fesse en veux-tu en voilà, du clinquant, de la couleur, du kitsch et du surréalisme, du bruit et de la fureur...

Parsemez d'humour défraîchi dans le style désacralisation/dé-mystification, B.D. perverse des années 70, chaussez vos gros, vos très gros sabots de potache et passez muscade. Laissez mijoter de deux à trois heures, le temps réel du déroulement de Don Juan et servez bien chaud le spectacle le plus pauvrement provocateur, le plus faussement drôle qu'il nous ait été donné de voir. A l'entracte, on entend que, désormais, on pourra fredonner Don Juan dans la salle de bains! C'est-à-dire sans complexe et sans faux respect pour les grrrandes œuvres.

Pauvre projet, pauvre Mozart. Comme si dans la vision conforme de l'oeuvre, cette chose grandiose qui épuise par la musique toutes les virtualités contenues dans chaque personnage, cette chose qui joue avec nos sentiments et nous fait passer allègrement du rire aux larmes, du ridicule au tragique, comme si, donc, dans la version réelle tout n'avait pas été dit et que, vraiment, on avait attendu cette farce racoleuse (et moins d'ailleurs par l'étalage du téton que par les prétentions picturales), pour que le personnage de Don Juan nous apparaisse dans tous ses états et que nous en saisissions, enfin, l'enjeu véritablement moderne!

Car il s'agirait, par cette salade interposée, de « questionner le désir » et, après avoir inversé les rôles des protagonistes, brouillé les pistes en faisant tout jouer par des femmes, de mettre en exergue la sexualité « ingouvernable », toutes choses bien entendu (c'est le non-dit de l'affaire) sur lesquelles la musique de Mozart serait muette! Décidément, s'il est des détournements roboratifs et toniques, il en est d'autres qui tombent bien à plat et s'étirent laborieusement.

Le Don Juan de Mozart, ce n'était vraiment pas une bonne idée. Ne serait-ce que parce que la musique également « détournée » par les manœuvres caricaturales des chanteurs et de l'unique pianiste triomphe magistralement de cette épreuve et que, par un effet boomerang imprévisible, elle ridiculise à son tour le spectacle auquel elle sert d'alibi. De sorte que — et bien que la salle entière s'écroule de rire — on a envie de fuir pour réécouter la plus orthodoxe des interprétations de Don Juan.

DANIÈLE GILLEMON

Au Théâtre 140, avenue Plasky, 1040, jusqu'au 10 novembre à 20 h 30.

Auteur Danièle Gillemon

Publication Le Soir

Performance(s) Donna Giovanni

Date(s) du 1985-11-05 au 1985-11-07

Artiste(s) Divas (Mexico)

Compagnie / Organisation