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'Donna Giovanni' au Théâtre 140: Quand le sexe a de l'esprit



Le Drapeau Rouge

8-11-1985

« Donna Giovanni » au Théâtre 140

Quand le sexe a de l'esprit

On connaît le principe de l'auberge espagnole. Les six cantatrices et danseuses de la compagnie « Les Divas » ont mis au point une formule explosive, celle de l'auberge mexicaine. Avec pétulance, malice et énormément de travail, cette bande-là a revisité le Don Juan de Mozart. En empruntant tour à tour les rôles et les habits de la comédie musicale de Da Ponte, les Donnas Giovanni réinventent l'opéra, et lui promettent longue vie, y compris auprès du public non coutumier du genre.

D'un décor rien moins que superbe, d'un gigantesque visage aux yeux mi-clos et à la bouche ouverte, les six joyeuses drilles débouchent et nous mènent la sarabande en deux actes.

Au commencement était la langue, celle qui vit le désir et la sensualité, celle qui le dit dans les registres du tragique ou du bouffon. Avec les « Divas », c'est une latinité tropicale qui s'exprime en itanol, un mélange d'italien et d'espagnol comme on s'en doute. Et Don Juan, son valet ou le fiancé trompé, leurs victimes féminines n'ont plus qu'un seul sexe, le sexe unique et interchangeable du désir.

Parodie de l'opéra, Donna Giovanni est bien sûr parodie du chant. Seul homme en scène, et le dos tourné, le pianiste s'exécute, interprétant par exemple la partition sans toucher le clavier lors d'une séquence muette qui donne toute la force nécessaire à la mise en scène — et en pièces — d'un certain maniérisme. Souffle d'un diable malicieux que l'on retrouvera encore dans des tableaux vivants de Botticelli ou Cranach, et qui n'ont point, c'est évident, la compassion figée des Nativités de la Grand-Place bruxelloise.

Succession de tableaux, de gags, terriblement ajustés, le spectacle se vit d'une traite, plein la vue, plein les oreilles, avec à peine le temps de souffler en un entracte au bar du 140 (*). Mais c'est aussi la preuve par six d'une latinité sans rivages, celle qui interpellait Mozart à Prague voici deux siècles. Un grand appel d'air qui fait du bien à l'heure des Europaliades et autres espagnolettes.

Françoise NICE.

(*) En coproduction avec l'Ancienne Belgique au Théâtre 140, avenue Plasky, 140, 1040 Bruxelles. Jusqu'au 10 novembre à 20 h 30. Réservations : 02/737.98.05.

Auteur Françoise Nice

Publication Le Drapeau Rouge

Performance(s) Donna Giovanni

Date(s) du 1985-11-05 au 1985-11-07

Artiste(s) Divas (Mexico)

Compagnie / Organisation