Archives du Théâtre 140


'Himé' ou la recherche de la féminité. Un spectacle subtil et frémissant, splendide et magique des danseuses japonaises d'Ariadone



La Libre Belgique

23-3-1986

Au Théâtre 140

« Himé » ou la recherche de la féminité

Un spectacle subtil et frémissant, splendide et magique des danseuses japonaises d'Ariadone

En japonais, « Himé » signifie princesse. Mais ce n'est pas le sens que donne à ce mot Carlotta Ikeda et les six danseuses d'Ariadone dont le 140 avait déjà présenté il y a quelques années le très beau spectacle de butô « Ainsi parlait Zarathoustra ».

Pour les sept femmes d'Ariadone, « Himé est un sexe non différencié. Le mot signifie « non-femme » (« hi » est une négation et « mé » veut dire femme). « Himé » n'est donc ni une femme, ni une reine ; c'est un bouton secret qui n'est jamais exposé à la lumière du soleil... le secret, le caché, le palpitant, le fragile, le frémissant, la crainte, sont les signes de l'érotisme ».

Ces phrases sont extraites du très beau préambule au spectacle qu'a écrit Ko Murobushi ; mais si elles éclairent d'une lumière poétique cette magnifique chorégraphie, leur méconnaissance ne ternit en rien l'éclat onirique d'un spectacle aussi fort que subtil, aussi évident qu'envoûtant et qui donne une idée de ce que peut-être la perfection en matière de théâtre et de danse.

En sept tableaux alternant les scènes de groupe et les fragments de solitude ; et au son d'une très belle musique répétitive, lancinante, (de Osamu Goto), qui module les harmonies du songe, des mélodies les plus rêveuses aux stridulations les plus douloureuses, les danseuses d'Ariadone partent à la recherche de ce quelque chose de flou et de trouble qui est peut-être la féminité.

Elles errent dans un monde de miroirs suspendus où les peurs informulées, les désirs enfouis et tous les frémissements de l'âme et du corps se répondent l'un l'autre.

Elles sont une princesse de rêve, vêtue d'écume et de coquillages, six petites filles en robe rouge criaillant une comptine sous les yeux éteints d'un faux gamin déguisé en scout ; une Alice désemparée qui se cogne contre son propre reflet dans une vitre...

Limbes étranges et fantastiques de l'enfance, comme une eau mouvante au sein de laquelle les Ariadone glissent et nagent, remontant parfois jusqu'avant la naissance, en une sorte de ballet amniotique où chaque petit poing serré dit le violence et la fragilité.

Mais aussi errances aveugles d'êtres blafards, aux postures disgracieuses, dont la beauté et la laideur se confondent pour ne laisser qu'une impression d'inachevé, de corps qui n'est encore que chair, en devenir.

Jusqu'à la danse finale où sept êtres enfin devenus femmes tissent dans une harmonie nouvelle l'essence de leur être, l'on se meut avec les Ariadone dans l'univers de l'impersonnel et de l'impalpable, ou l'érotisme n'a pas encore de nom ni de couleur. Un monde liquide, ou aérien, où tout est métamorphoses.

Tableau fluide où la lumière est un corps jouant sur d'autre corps - les éclairages sont d'un subtilité rare - « Himé » est de ces spectacles dont il est difficile de parler avec des mots. De ces spectacles où la magie dépasse l'art et le déplace à des dizaines d'années-lumière.

Stéphane JOUSNI.

Au Théâtre 140 jusqu'au samedi 29 mars à 20 h 30 (relâches dimanche et lundi).

Auteur Stéphane Jousni

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Himé

Date(s) du 1986-03-18 au 1986-03-29

Artiste(s) Ariadone

Compagnie / Organisation