Archives du Théâtre 140


Les Epigones dans Incident, un danger immédiat!



Le Soir

18-4-1986

Les Epigones dans Incident, un danger immédiat!

Bras ballants sur le plateau, « tout bêtes », fringués dans le style frippier cher à l'époque, nos Epigones commencent par jouer — un peu — à être flamands.

Ou plutôt, ils s'approprient les clichés qui courent sur la Flandre éternelle pour voir en quoi et comment ils fondent le comportement.

Dans un français appliqué et comiquement sophistiqué, avec des gestes gauches — plus vrais que nature — ils décomposent ensuite les mille et un temps de l'étreinte amoureuse, de l'« embrasse », comme ils disent, ou de l'« impulse sexuelle », faisant alterner frénésie et temps morts en une sorte de marathon très drôle et très douloureux. Beauté sauvage, inattendue, émouvante d'un spectacle qui ne repose sur aucun préjugé esthétique, s'efforce, au contraire, de renouveler codes et données...

Tout est rythmique, en effet, dans cette course sans but contre la montre, ce faire et ce défaire perpétuel qui justifie l'escalade du spectacle, ses moments de haute tension et ses retombées, ses reculs qui n'existent bien entendu que pour permettre aux Epigones de mieux sauter. Et quand je dis sauter, je sais de quoi je parle : car c'est de corps et de sentiments chahutés, « blackboulés », brisés au cœur même de leurs sursauts les plus vitaux qu'il s'agit, de corps et d'âmes confrontés, désirs et échecs confondus, aux acrobaties les plus folles. Dans un très bel espace aménagé sans esthétisme mais avec un sentiment très aigu de la beauté plastique par le metteur en scène quatre corps se cherchent et vont de catastrophe en catastrophe.

Tantôt parés de beaux atours, tantôt nus comme des vers, ils escaladent des pylônes, se lancent dans les airs au moyen de dangereuses balançoires, dégringolent, se heurtent à des chaises, s'effondrent, pour toujours se relever avec une obstination aussi gratuite que désespérée. Et

quand ils ont tout connu, quand ils ont échappé au punching-ball vengeur dont ils règlent eux-mêmes la course meurtrière, quand ils ont échappé aux lois de la pesanteur qui font que, toujours, un corps défiant l'espace finit par tomber, alors ils se pincent encore les doigts ou se heurtent le front au micro!

Voilà le topo d'Incident : catastrophique et drôle à pleurer. Chaque comédien est son propre clown, son propre bouffon, ayant jeté le masque aux orties et cherchant — sous nos yeux — une raison d'être et de jouer : quête difficile dont ils dessinent admirablement les antagonismes : ni illusionnisme, ni chiqué, on joue à se trouver, à se comprendre, et c'est un véritable casse-tête chinois, un supplice dont les performances physiques — ah, ce punching-ball qui les poursuit ou les précède comme un missile aveugle! — donnent l'exacte dimension.

Et le thème de la pièce, finalement, pourrait bien être, aussi, la merveilleuse légitimité de notre survie dans une conjoncture aussi néfaste. Les efforts les plus désespérés sont sans doute les plus beaux : de voir ces graciles têtes échapper au sac de plomb et sortir vainqueurs de ce carrousel fou ne nous apprend sans doute rien sur le sens de nos actes mais beaucoup sur leur force. Après tout, c'est réconfortant!

DANIÈLE GILLEMON.

Au Théâtre 140 jusqu'au 19 avril inclus, à 20 h 30.

Auteur Danièle Gillemon

Publication Le Soir

Performance(s) Incident

Date(s) du 1986-04-10 au 1986-04-19

Artiste(s) Epigonen

Compagnie / Organisation