Archives du Théâtre 140


Tango argentin, au '140', revu et corrigé par des femmes de poigne



Le Soir

15-10-1986

Tango argentin, au « 140 », revu et corrigé par des femmes de poigne

N'ayant que le mot impertinence à la bouche, l'infatigable directeur du « 140 » s'est vu, faute de munitions, dans l'obligation de négocier un virage, et son registre jadis résolument théâtral est aujourd'hui solidement ancré dans la danse. On croirait bien avec lui que le verbe corsette le corps et que libéré du discours le geste seul va toujours plus loin. Qu'il « sauve » en quelque sorte et garantit la verdeur du spectacle.

Il y a huit jours, dans le même lieu, l'inoubliable Japonais Kazuo Ohno ouvrait des horizons innommés qui ne pouvaient de toute évidence tomber sous le coup d'une autre formulation que cette chorégraphie introspective. Aujourd'hui dans un genre plus léger, les danseuses argentines de « L'Exil de Gardel » éblouissent par leur technique, la variété de leur style et leur manière de prendre du champ vis-à-vis du folklore. Et pas seulement du folklore — falbalas et castagnettes —, noble notion pourtant que le tourisme a quelque peu dénaturée au point de la rendre fort pesante pour les pays concernés.

Au-dessus de la mêlée

Mais, avec une fine cruauté, elles visent aussi un certain internationalisme des modes qu'elles s'emploient à déjouer et ce machisme bon teint que le discours féministe a peut-être déstabilisé avant de le renforcer.

Machisme, occidentalisme, libération tous azimuts, autant de thèmes qui sont dans l'air du temps pour le meilleur et pour le pire. Et qui, dans cette mesure, sont inévitablement sujet à ressassement. Péril que les quatre dames évitent magistralement car avant d'être satiriques et caricaturales, leurs visées sont essentiellement esthétiques. Elles ont une manière de fouetter le débat, d'épurer, avec un style cinglant, tout ce qui forme le discours bavard d'aujourd'hui qui aboutit à une pure poésie visuelle, à de scintillantes compositions chorégraphiques où tout est dit cependant, entre deux tangos révulsifs, de la terreur, des assassinats concoctés du bout des doigts gantés de cuir, du sport et de la religion opium.

Entre Ensor et Segui, Grösz et Magritte, nos Argentines déploient une gamme d'images qui ont le mérite d'être les formes où coule tout naturellement le propos sarcastique et cynique absurde de la pièce et non des espèces de béquilles visuelles destinées à pallier une quelconque faiblesse.

Au total, c'est avec beaucoup d'élégance que nos copines latines avouent qu'elles en ont assez du tango, du plat qu'on fait autour et de l'idéologie qu'il véhicule. Au cas où on n'aurait pas compris, d'ailleurs, l'énorme pantalon garni d'un flamboyant ceinturon qui descend du ciel et vient clore la pièce, machinerie d'un autre âge, pourrait servir de mode d'emploi. Clin d'oeil un peu lourd, le seul, qu'on leur pardonnera aisément.

DANIÈLE GILLEMON.

Au théâtre 140, av. Eugène Plasky, 1040 Bruxelles. Le 15 octobre à 20 h 30. Location : 733.97.08.

Auteur Danièle Gillemon

Publication Le Soir

Performance(s) Une nuit avec Gardel

Date(s) du 1986-10-13 au 1986-10-15

Artiste(s) Nucleodanza

Compagnie / Organisation