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Le festival Gestes: l'autre façon de danser, entre autres choses…



Le Soir

27-10-1986

Le festival Gestes : l'autre façon de danser, entre autres choses…

Le cru 1985 avait amené quelques découvertes mais le festival cherchait encore sa véritable définition dans un champ d'action — danse, théâtre-pantomime — où les barrières sont de plus en plus flottantes.

Il semble que cette fois les organisateurs ont d'emblée haussé la barre. La danse aura résolument un pied dans le théâtre comme il sied aujourd'hui et l'affiche sera internationale.

La venue de Philippe Decouflé, chorégraphe inclassable, qui a fait communier dans l'extase tout le beau monde d'Avignon, ouvre le feu au Théâtre 140 avec le fameux Codex.

Philippe Decouflé est le type le plus sympathique du monde : vingt-cinq ans bien pesés, des origines bretonnes, un goût très vif pour le cinéma, une manière de s'éterniser dans l'état qui sépare l'adolescent de l'homme et un refus intéressant, à cet âge, d'être branché, tout cela force l'intérêt. Mais n'explique en rien, selon lui, la genèse de ses spectacles. Quant à la danse « postmoderne », il est lié à elle selon un rapport amour-haine des plus classiques. Tantôt elle l'agace — cette façon de se prendre au sérieux — tantôt elle le fascine car elle peut tout, mais ce n'est pas vraiment son registre bien qu'il ait fait un stage chez Chopinot.

Lui, ce qui l'intéresse c'est de définir, avec ses copains Catherine Savy, 1 m 50, et Christophe Salengro, 1 m 98 (les oreilles si décollées qu'elles paraissent lui servir d'antennes), un nouveau vocabulaire pour parler une autre langue chorégraphique. Pour ce faire, il collectionne, engrange les souvenirs, les rêves, les émotions esthétiques qu'il passe au tamis de sa démarche désarticulante et de son optique d'entomologiste...

Qu'est-ce qui a été vraiment déterminant dans votre vocation?

Certainement le fait d'avoir été clown dans un petit cirque local de même que celui d'avoir créé des spectacles très courts d'une dizaine de minutes. Très utile : le laps de temps réduit vous débarrasse d'une série de contraintes et vous oblige à ne considérer que le vif du sujet.

Les rêves que je fais à demi éveillé, des petits délires à moi que j'organise avec un maximum de précision — c'est très important la précision — où l'univers est perçu et restitué comme une machine anormale où les légumes, les machines sont investis de missions importantes : il y a un ballet des salades dans mon spectacle. Mais c'est le geste qui compte : un geste cassé, une syntaxe déglinguée qui donnent l'impression que le corps se dissout pour se réduire à des jeux graphiques au moment même où on le perçoit comme très concret. Dans ce spectacle-ci, je pars d'un livre, d'un codex, une encyclopédie parfaitement illisible où les syllabes grouillent comme autant de microbes vus dans le microscope et c'est la base d'une nouvelle grammaire de gestes...

... Dont chacun s'accorde à dire qu'elle est magique, bouleversante, surréaliste, drôle, bref qu'elle répond enfin à un besoin, à une attente.

Allez savoir...

Outre cette jeune vedette dont le laconisme souriant cache un travail extrêmement solide, le festival du geste programme d'autres façons de danser comme celle de Michèle-Anne De Mey et de Pierre Droulers dans « Face à face », du Bucrâne Theatre qui présente en création La Dernière Tentation, un spectacle « bougé » de Patrick Bonté et Jacques Sojcher (en coproduction avec le Théâtre Impopulaire) et une série de créations de jeunes groupes, belges également, comme Un pas de deux, de Michèle Noiret et Jean-Christian Chalon, ou Les Nuits du tapis vert, un spectacle automatique inspiré des... Trois Mousquetaires, par Camouflage belge, Naufrage, de la Compagnie Victor Noir, Sous peine de poursuite, par Incidence et Clin d'ceil à la solitude, de Félicette Chazerand qui s'inspire très délibérément de l'univers des peintures de Spilliaert.

Quant aux compagnies étrangères, elles proposent Shiro Daimon, un danseur japonais butô, Serioso ma non troppo, du suisse Jean-Pierre Amiel, un spectacle humoristique sans doute plus théâtral que chorégraphique, une création de la chorégraphe canadienne Julie West : « Spatial Freeway » et enfin le mime suisse Dimitri dont la réputation a largement franchi les frontières.

DANIÈLE GILLEMON.

Le festival se tient du 28 octobre au 9 novembre. Rens. et loc. : 02-218.37.32 au Centre culturel du Botanique où se donne la majorité des spectacles à l'exception de Decouflé et de Michèle-Anne de Mey au 140, av. Plasky, et de Dimitri, à l'Auditorium du Passage 44.

Auteur Danièle Gillemon

Publication Le Soir

Performance(s) Codex

Date(s) 1986-10-29

Artiste(s) Philippe Decouflé

Compagnie / Organisation