Archives du Théâtre 140


Un 'Face à face' fascinant. Le duo Michèle-Anne De Mey et Pierre Droulers s'impose en rigueur exemplaire



La Libre Belgique

9-11-1986

Un « Face à face » fascinant

Le duo Michèle-Anne De Mey et Pierre Droulers s'impose en rigueur exemplaire

Complice d'Anna Teresa De Keersmaeker, chorégraphe de « Balatum », Michèle-Anne De Mey ébauche sa première chorégraphie avec un danseur-homme. « Face à face » s'est créé à Tournai, le Festival Gestes présentait cet important travail au Théâtre 140.

NEUTRE. Une salle impersonnelle, délimitée par des rideaux vert billard de velours, composée d'un sol gris nuit en linoléum. Une nudité habillée précairement : sur les côtés deux bancs de gymnastique; au fond, une estrade en bois avec une table, deux chaises et une console de commande « lumière et son ». L'espace froid et neutre sera découpé au rasoir par les élans d'une chorégraphie en création. Michèle-Anne De Mey et Pierre Droulers s'y rejoignent, pas comme personnages de couple, mais comme danseurs, individus en recherche. Ils réfléchissent la danse, parlent la danse, osent la danse par éclairs brefs et fulgurants.

RIGUEUR. Ainsi pensé, mûri, le mouvement se construit dans la concentration et la gravité. Rien n'échappe à la structure rigide de la chorégraphie, aucune fantaisie, légèreté ou spontanéité. Tout y est maîtrisé, hyper-contrôlé, d'une rigueur exemplaire. Cette volonté rude découvre sans fioritures le cheminement des deux partenaires danseurs vers la complicité physique. Elle, rouge, fière et réservée, bouge en angles secs et en saillies rudes. Lui, gris comme l'espace, généreux et malléable, évolue en rondeurs souples et en saillies légères. Elle, terrienne, impose une grâce nette et intransigeante, les poings souvent serrés, les coudes repliés. Lui, aérien, amortit ses envolées, écrit le geste en point de suspension.

PUDEUR. Dans leur lutte-rencontre de souris-fauve et de chat-perle, les danseurs jamais ne jouent pour les spectateurs, jamais ne les regardent. Leur jeu grave sans être sinistre, ludique sans être transparent, s'ébauche, répétitif, sur les phrases musicales de Schubert, Webern, Brahms et Billie Holliday. Lumières et sons sont commandés sur le plateau. La fascination naît de leur contraste aigu et de cette sincérité pure qui leur interdit toute concession à la facilité. Ce n'est qu'à la moitié du ballet que les danseurs commencent à se toucher.

Leurs approches effleurées vont progresser du contact avorté et rejeté à l'abandon total où l'homme-Sysiphe n'en finit plus de porter la femme, d'abord belle statue puis fardeau-boulet, mangeant sa liberté physique.

C. D.

Auteur Claire Diez

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Face à face

Date(s) du 1986-11-05 au 1986-11-07

Artiste(s) Michèle-Anne De MeyPierre Droulers

Compagnie / Organisation