Archives du Théâtre 140


Yves Musard, flâneur mathématique. Dans son spectacle 'Antipodes', le danseur expose sa folie calculée du geste



La Libre Belgique

18-2-1987

Yves Musard, flâneur mathématique

Dans son spectacle « Antipodes », le danseur expose sa folie calculée du geste

Yves Musard aime à muser le museau en l'air. Mais sa flânerie à travers les siècles à des accents de devoir de mathématiques. Le chorégraphe-danseur sautille ses découpements latéraux de l'espace, concentré et systématique. Entre l'imperturbable mutant et l'inquisiteur ascétique, la tension de son visage creusé se prolonge dans ses gestes de gamin appliqué qui, méticuleusement, ordonne ses ralentissements, accélérations et arrêts brutaux. Rythmes en ruptures. Syncopes en contrastes.

Yves Musard, oisif des grandes villes, flâneur des gratte-ciel, projette sa méthodique rêverie et sa colère contrôlée à l'image des symétriques avenues trépidantes de la mégalopole américaine. Français, il vit à New York depuis 1979 et a présenté ces chorégraphies en solo ou en groupe, à Dance Theatre Workshop, The Kitchen, PS 122, The Cunningham Studio... Formé à la danse classique et contemporaine, il a aussi étudié avec Jean-Claude Gallota, Michel Hallet, Margaret Craske... et au studio Cunningham.

Dans la première partie de son spectacle, incongru et solitaire, Yves Musard expose les libertés de son vocabulaire, alphabet silencieux et soigneusement étudié qui se joue des énergies retenues ou projetées, des droites et des courbes, des brisures et des continuités.

Puis, précédée d'une odeur sucrée d'encens, éclate la musique. Les chœurs passionnés et grandiloquents saluent l'entrée de l'homme mauve au long torse et aux petites jambes, voilé et « fraqué » de légèretés ivoires. Interminablement, il tente de s'émanciper du sol, pour traverser l'espace. « Un pas en avant, trois pas en arrière », comme la bergère, qui a, ici, un look plutôt musulman. Quand le danseur s'arrête et se dévoile, c'est pour laisser tomber la pomme fatale et coupable qu'il maintenait en bouche, et muser des mélodies vaguement grégoriennes.

Fondu sonore aux rythmes agressifs de percussions industrielles. Des forges tapageuses du cœur et du corps emplissent l'espace de violence alors que, poings serrés et bras levés, le danseurs tourne, derviche crispé des temps modernes. De la tradition indienne à la cour du Roi Soleil, Yves Musard, en clin d'oeil, explore en rythmes énergiques le temp et le geste, jusqu'à son dépouillement. Alors, seule, la main éclairée par un filet de lumière réagit aux impulsions sonores, où la bouche ouverte permet à la langue de danser son propre ballet.

Quand le fond blanc comme fraîchement plâtré et peint s'éclaire pour laisser paraître ses aspérités, le mouvement du Musard se fait pictural sur cette toile imparfaite. Ce mur des lamentations reçoit ses révoltes cravachées de rockers et ces élans élégants de chevaliers. Puis, insolent, le chorégraphe de la danse buissonnière se retire en sifflotant. Sa gravité appliquée se colore de sourire. Il nous a imposé son travail automatique et rigoureux sur la forme, mais le danseur, par moments, a su aussi nous séduire en habillant son geste d'humour.

C. D.

Jusqu'au 21 février, à 20 h 30, au Théâtre 140. Tél. :: 02/733.97.08.

Auteur Claire Diez

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Antipodes

Date(s) du 1987-02-16 au 1987-02-21

Artiste(s) Yves Musard

Compagnie / Organisation