Archives du Théâtre 140


Musard: mystique de la danse



Le Soir

18-2-1987

Musard : mystique de la danse

Etrange personnage... Dès qu'on le voit surgir sur scène, vif, magnétique, tonsuré comme un moine du moyen âge et moulé jusqu'aux mâchoires dans un collant de peluche noire, on se dit que le pas de danse ici risque bien d'empiéter sur un ailleurs peu banal et que l'aire chorégraphique est en quelque façon révolue...

Et de fait, dans la première partie du spectacle, prologue silencieux où Yves Musard s'échauffe discrètement et paraît soliloquer avec chaque partie de son corps sans, apparemment, se préoccuper du public, on prend connaissance d'un art où les défis à l'équilibre et les chevauchées gymnastiques sont autant d'exercices initiatiques que le danseur s'impose jusqu'à sentir profondément l'outil « corps ». Inutile de dire qu'on est à mille lieues de tout body-building débilitant et que réchauffement dont il est question procède davantage d'une étrange mystique dont on voit dans la partie suivante à quelles fins elle sert.

Ainsi sous nos yeux, il éprouve, non sans humour d'ailleurs, l'engrenage parfait des articulations, la cadence de son pas et le rythme de sa course, la soumission idyllique de tous les muscles à la moindre impulsion, la réponse directe du mouvement à la plus infime des sollicitations mentales. A peine le projet d'un geste paraît l'effleurer qu'aussitôt il en trouve le développement adéquat sur la scène. Dire que Musard a le mouvement chevillé au corps est un euphémisme. En réalité il est arrivé à un tel point de concentration que le moindre mouvement, le caprice le plus saugrenu de ce corps qu'on perçoit comme une entité compacte, ramassée, et non comme l'addition des différentes parties, paraît investie d'une force considérable.

Quant à la deuxième partie, en contraste, elle fait figure de fresque baroque, convoquant dans un imaginaire et parodique roulement de tambour différents épisodes de l'histoire de l'humanité. Sans aucun moyen en dehors du jeu des éclairages et de l'espèce de collage musical qui réunit chants liturgiques, musique classique et oratorios, Musard, véritable illusionniste, crée un espace poétique vraiment fabuleux, sorte de chemin de ronde de l'antiquité à nos jours dont il a retenu des climats, des paysages, des ambiances qu'il nous restitue avec une magie presque cinématographique.

D. G.

Au Théâtre 140, jusqu'au 21 février, à 20 h 30. Rens. et loc. : 733.97.08.

Auteur Danièle Gillemon

Publication Le Soir

Performance(s) Antipodes

Date(s) du 1987-02-16 au 1987-02-21

Artiste(s) Yves Musard

Compagnie / Organisation