Archives du Théâtre 140


Exit Epigonenensemble, la Needcompany naît de ses braises



La Libre Belgique

20-4-1987

Exit Epigonenensemble, la Needcompany naît de ses braises

Avec « Need to know », le fulgurant collectif théâtral flamand prend un nouveau départ sous un nouveau nom. Dirigé par Jan Lauwers, le spectacle amalgame un cruel débat-vérité et « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare

« Needcompany », besoin, urgence. C'est le nouveau nom du groupe théâtral flamand, précédemment collectif (Epigonen zlv : zonder leiding van) et dirigé aujourd'hui par Jan Lauwers (29 ans). Formé à l'Académie des Beaux-Arts à Gand, section art monumental, spécialisation peinture, Jan Lauwers rencontre en 1980 le musicien André Pichal avec qui il décide de créer un nouveau médium qui combinerait l'art plastique et l'art musical.

DEJA BLESSES. Ils organisent alors des nuits de spectacles pendant lesquelles ils rencontrent Simone Moesen et Eric Clauwens. Simone rassemblait les enregistrements de compositions vocales et proposait des compétitions de billard qu'elle animait de parodies-rétro. Eric passait son temps à se ballader en maillot de bain à la gare Centrale d'Anvers en lisant des extraits de l'oeuvre de Kenneth Patchen. Leur premier spectacle porte le très beau titre de « Déjà blessé et ce n'est même pas la guerre ».

En 1983, trois autres membres rejoignent la troupe : un ex-artiste de cirque, ex-chauffeur, ex-présentateur, Mark Willems, un ex-musicien, Wilfried Van Dijck, et Linda Gaethofs. Ils ont tous moins de trente ans et présentent au festival du Kaaitheater « La Démonstration ». La Belgique francophone les découvre, s'émeut de leur intensité et de leur originalité. Vient ensuite le cruel et déroutant « Couteauoiseau » présenté au Théâtre 140, et puis comme le bouquet d'un feu d'artifice éblouissant et dangereux, « Incidents » que l'on voit modifié, peaufiné mais toujours aussi fragile et périlleux, un an après la création, grâce à l'accueil de Jo Dekmine.

FLAMBEE FLAMANDE. Entre-temps, la jeune Suédoise Afra Waldhor a remplacé Linda et l'asbl « Schaamte » qui soutient les créations d'Anna Teresa De Keersmaeker et des Rosas, prend en main la production et la diffusion de leur travail en Belgique et à l'étranger. La flambée flamande se consume, lumineuse et rougeoyante, embrasant les enthousiasmes sur son passage. Ce sont, en effet, des artistes comme Jan Fabre, les Rosas, Epigonen qui témoignent à un niveau international de la vitalité de la Belgique flamande.

Jan Lauwers affirme ne pas aimer le théâtre. Après « Incidents », le doute, les interrogations : « Faut-il continuer? Le spectacle théâtral est-il notre moyen d'expression le plus pertinent? » Puis le nouveau départ, éclairé par cette très belle profession de foi : « L'art est une nécessité, un examen sur lui-même. Dans un temps où la science, la philosophie, la psychologie et la religion se sont embrouillés, l'art se maintient tout juste, parce qu'il trouve sa raison d'être dans ce désarroi. « Need to know » doit devenir ce qu'il est dans sa genèse : une recherche de quelques personnes afin de découvrir pourquoi le monde est si compliqué et pourquoi exactement cela est si beau ».

Pour le nouveau leader de la « Needcompany », le spectacle existe davantage comme témoin de la naissance d'un nouveau groupe que comme une fin en soi. Sans scénario logique, leur pratique théâtrale a souvent été comparée à ce que la Nouvelle Vague apporta au cinéma. La perception y est totalement subjective. La tension naît sur le plateau de la rencontre-choc des individus; chaque situation est filtrée, enrichie de leur expérience personnelle. Cette authenticité rude, ce total investissement déshabille leur parole et leur geste de toute gratuité facile et les élèvent à un niveau de pureté fulgurante, malhabile car profondément humaine. Complètement désarmant.

CHOC. Perturbants et grinçants, sauvages et généreux, les Epigonen nous donnent à voir des spectacles en friche dont la confusion émotive s'écartèle entre douleur et jubilation, déchirure et émerveillement, illusions et désillusions. En cela, ils sont le reflet vivace de la conscience de notre temps. Si trois ex-Epigonen poursuivent le trajet de la Needcompany, Jan Lauwers a auditionné une centaine d'hommes et de femmes. Ceux qui furent retenus ne sont ni les plus professionnels, ni les plus compétitifs, mais simplement, à la Pina Bausch, ceux dont l'expérience humaine était susceptible de nourrir le travail très personnel de la troupe. Ils sont Suédois, Polonais, Allemands, Hollandais et Belges. Au nombre de neuf, leur moyenne d'âge vogue dans les trente ans.

LEUR PROPRE PAROLE. Sous l'impulsion et le regard de Jan Lauwers, ils ont construit « Need to Know » en improvisations, en réflexions. Produit par le Mickery, à Amsterdam, où il a été créé au début de ce mois d'avril et par Schaamte, le spectacle est également parrainé par l'Ancienne Belgique et par l'Hippodrome (Centre d'action culturelle de Douai).

« Need to know » est la phrase obsessionnelle d'un film qui inspira la naissance du spectacle « Kidnap, Terror and the State ». Tout à fait étonnante, cette production de la Granada Television rassemble seize personnalités puissantes sur lesquelles reposent les décisions de la nation américaine (directeurs de la CIA, du FBI, de grosses multinationales, avocats illustres, etc. et l'ambassadeur du Salvador : parmi eux, Schlesinger, Haig, Webster, Colby... Un modérateur anglais soumet à leur jugement et à leur décision un problème fictif : l'enlèvement d'un manager de multinationale dans un pays sud-américain. Chacun réagit selon sa fonction et comme il le ferait dans la réalité malgré l'œil indiscret de la caméra. « C'est-à-dire impitoyablement et cruellement. Les rapports sont dénués de toute émotion », conclut Jan Lauwers.

Second matériau de base : « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare, où le metteur en scène a choisi de représenter les moments émotionnels des détenteurs de pouvoir que les acteurs-acrobates ont revisité de leur personnalité, en harmonie ou discordance. « Need to Know » est un spectacle sur le pouvoir, la politique, la passion, l'amour et l'ambition.

André Pichal, soliste de l'Orchestre National de Belgique, a composé une partition musicale pour grand orchestre (quarante minutes de musique pour vingt-six musiciens). Une partie de la représentation s'écoule en opéra dont le livret est basé sur la pièce de Shakespeare.

« Le travail est encore en cours, explique Jan Lauwers, les choses en constante évolution organique ». On découvrira cet état éphémère de la création mouvante à l'Ancienne Belgique pendant trois jours, les 22, 24 et 25 avril.

Claire DIEZ.

Tél: 02/512.59.84.

Auteur Claire Diez

Publication La Libre Belgique

Performance(s)

Date(s) 1987-04-20

Artiste(s)

Compagnie / Organisation