Archives du Théâtre 140


Sophocle sur un tapis volant



Le Drapeau Rouge

21-10-1987

Sophocle sur un tapis volant

Si vous êtes de ceux chez qui les mots « tragédie grecque » appellent immanquablement un long bâillement et une image en noirs costumes et blanches colonnes de gémissements plaintifs ou d'exhortations ridicules, allez voir Electre au Théâtre 140 (*), c'est une agréable surprise. C'est là que j'ai réalisé qu'une certaine éducation cartésienne nous a donné de la civilisation grecque une image très aseptisée, pour tout dire trop « classique » pour être honnête. On nous en a fait un monde ouaté dans lequel défilent lentement des cohortes de vieillards devisant de philosophie à l'ombre des oliviers. Mais, par Dionysos! Les Grecs sont Méditerranéens! Place donc à la lumière, aux couleurs, à la musique, au chant et à la danse.

Nous sommes à Mycènes face au palais de la reine Clytemnestre dont l'ocre rose évoque certaines photos de Knossos mais les souvenirs de livres scolaires ne nous accompagneront pas plus avant. Ce n'est pas un sinistre chœur pleurnichard qui va nous conter en prologue le sacrifice d'Iphigénie, la guerre de Troie et la mort d'Agamemnon mais des servantes mélancoliques ou espiègles (normales, quoi!) aux vêtements richement colorés. Leurs voix […] initiale s'ordonne en un chant qui s'élève comme un serpent charmeur qui, insidieusement s'enroule autour de la gorge. Et lorsque l'enchantement s'est rompu à la fin, j'ai senti que ce serpent n'était qu'un étrange sanglot d'émotion contenue. Car il y a aussi tout le reste, la sensation qui naît de ce spectacle est irréelle, inexplicable. Je ne suis pas une midinette et pourtant j'était formidablement émue devant une beauté si pure, presque sauvage, barbare.

Ce spectacle a toutes les qualités d'un tapis volant et on apprend donc sans surprise que le metteur en scène (ou faut-il parler ici de chorégraphe?), Farid Paya est Iranien. Et les acteurs du Théâtre du Lierre réunis ici, nous viennent de tout le bassin méditerranéen, on comprend ainsi pourquoi les chants qui recourent à une langue imaginaire (le texte français est d'Yves Plunian) évoquent comme une mélodie des rives du Bosphore mêlée de youyous maghrébins. Une grande réussite alchimique.

Laurence LAFFINEUR.

(*) Avenue Plasky 140, 1040 Bruxelles.

Auteur Laurence Laffineur

Publication Le Drapeau Rouge

Performance(s) Electre

Date(s) du 1987-10-19 au 1987-10-24

Artiste(s) Farid Paya

Compagnie / Organisation Théâtre du Lierre