Archives du Théâtre 140


Des Circuits clandestins: pas assez louches…



Le Soir

11-3-1988

Des Circuits clandestins : pas assez louches...

Le 140 a-t'il une âme? Oui, le 140 a une âme et un style! Un même fil conducteur traverse des spectacles totalement différents et pourtant complices. Ce style, c'est le genre en trompe-l'œil, la manière décalée qui consiste à gauchir « l'objet » — Jo Dekmine lui-même ne parlerait pas autrement — à le détourner de ses objectifs premiers pour faire avouer à l'époque que nous vivons ce qu'elle a dans le ventre. A ce titre, que de fastes et toniques soirées passées avenue Plasky...

Mais voilà que Circuits clandestins, par le théâtre parisien de La Rumeur (qui nous avait donné La Nuit du plaisir différent) nous paraît bien tiède, en décalage, précisément, vis à vis du... décalage, terriblement flou en regard du trompe-l'œil qui, pour être efficace, exige de la précision, encore de la précision, toujours de la précision. Affadi, en quelque sorte, du côté de la démystification, de la violence et du rire, mal dessiné pour tout dire et nous laissant sur notre faim d'un bout à l'autre de ce scénario qui était pourtant une excellente idée.

Jugez plutôt : une foule de personnages se retrouvent sur un plateau façon art déco, avec des marbres et des luxes de deux sous. C'est le monde des starlettes, des seconds rôles, du film noir en train de se faire dans les coulisses hollywoodiennes, au beau milieu des fantasmes des uns et des autres qui finissent par contaminer l'action. Poupées futiles, sans visage, avec leurs robes cloche, leurs talons aiguilles et leur sourire en cul-de-poule, bonshommes fadasses dans leur costume-cravate, cheveux gominés, étreintes collantes, le décor certes est planté mais les intentions, curieusement, restent au stade des intentions et les comportements théâtraux bizarrement irrésolus.

On ne voit pas très bien, avouons-le, ce qui est visé. L'« objet » se dérobe, fuyant, glissant comme le sol enduit de savon où se contorsionne un acteur qui mime l'impact de la balle dans le ventre des polars de série B. Parfois le spectacle cherche à faire rire par son laconisme excessif et les ralentis désobligeants qui éventent les procédés cinématographiaues les plus éculés — des comédiens singent une bagarre en décomposant les gestes jusqu'à ce qu'ils deviennent purement graphiques — mais il faut se chatouiller pour rire.

A d'autres moments, la pièce fait plutôt dans l'étude des mœurs en se penchant sur ces figurants sans identité. Mais l'émotion passe mal à travers ces poupées de cire, poupées de son qui maîtrisent si bien leur rôle que jamais la trappe ne s'ouvre sous leurs pieds mignons et que la fêlure qui devrait les défigurer reste lettre morte. En réalité, la chose est plus vicieuse qu'il n'y parait, car le spectacle se confond rapidement et dangereusement avec son propos : panne de scénario, panne de talent, auteurs en quête de nécessité? Hé oui! hélas... Quant aux épisodes chorégraphiques, ils ajoutent encore à la mollesse de l'ensemble en cherchant à compenser par un rythme plaqué le manque de réelle nervosité du spectacle.

DANIÈLE GILLEMON.

Jusqu'au 12 mars.

Auteur Danièle Gillemon

Publication Le Soir

Performance(s) Circuits clandestins

Date(s) du 1988-03-09 au 1988-03-12

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Compagnie de la Rumeur