Archives du Théâtre 140


Quand la Rumeur se rue vers les rushes



La Libre Belgique

12-3-1988

Quand la Rumeur se rue vers les rushes

Dans « Circuits clandestins », la Compagnie française élabore un spectacle en séquences-films sur la crise d'un réalisateur et le désarroi de seconds rôles

L'usine à rêves d'Hollywood et ses poussières d'étoiles ont allumé les passions de milliers de starlettes en quête de firmament. Pour son troisième spectacle, après « L'éternel amoureux » en 1983 et « La nuit du plaisir différent » qu'on avait pu voir au 140 en octobre 1985, la Compagnie de la Rumeur passe du théâtre chorégraphié muet au parlant et explore les souvenirs et les cruautés du cinéma dans la peau de seconds rôles en mal de visages sur grand écran.

Filles et garçons, ils défilent dans un studio froid marbré de gris souris et de rose fané, petits pantins-poupées entre les mains d'un réalisateur velléitaire aux fantasmes aussi creux qu'une huître sans perle. C'est la crise. Celle du maître d'œuvre, qui ne sait plus œuvrer, et tâtonne tous azimuts, celle des jeunes acteurs sans identité prêts à se façonner à toutes les pâtes, à toutes les combines, pour éterniser leurs silhouettes sur pellicule.

Le spectacle, cependant, est plus gai qu'un canal. Il courtise l'humour, le burlesque, fait la cour au montage rythmé des polars et s'étourdit de répétitions accélérées. Le tout sur une bande-son non ininterrompue qui habille de nostalgiques musiques de films toutes les séquences jouées. Au creux de cette agitation débridée, les acteurs connectent des circuits clandestins qui prolongent et dévient dans la vie les indications de cinéma.

FAUX-SEMBLANTS. Spectacle sur les apparences, « Circuits clandestins » se joue des faux-semblants et inventent quelques moments croustillants sur l'illusion captée par la caméra, comme cette fausse bagarre flegmatique où les acteurs désordonnent leurs costumes bogartiens et se souillent méticuleusement de coulées discrètes de mercurochrome, comme cet exercice sur balatum savonneux à la recherche des « chutes pour mort par balles » mode d'emploi...

Dans cette fabrication systématique, le propos vernit son émotion de superficialité. Par touches légères, le désarroi s'insinue pour se marteler ensuite d'images-chocs. Le déshabillage d'une fausse Marylin, groggy par deux hommes qui la soutiennent, dégage son pesant de violence et d'amertume. D'autres séquences, par contre, se cassent de ruptures trop huilées, glissent sans s'écailler de profondeur, systématisent les dérapages dans l'anodin.

Peut-être est-ce justement cette superficialité que voulait travailler la compagnie de la Rumeur-Patrice Bigel? Ici, la forme très maîtrisée joue caméléon avec le fond. On sort d'un spectacle agréable et vernissé -et drolatique dont le sujet s'annonçait plus chavirants.

C.D.

Jusqu'au 12 mars à 20 h30. Tél.: 02.733.97.08.

Auteur Claire Diez

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Circuits clandestins

Date(s) du 1988-03-09 au 1988-03-12

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Compagnie de la Rumeur