Archives du Théâtre 140


Contre 140 frustrations: Les Filles du chef!



Le Soir

27-4-1988

Contre 140

frustrations :

Les Filles du chef!

« Pour un directeur de théâtre, le plus frustrant à vivre consiste à se refuser des spectacles auxquels il croit mordicus, eu égard à des raisons purement stratégiques, techniques, budgétaires, toutes étrangères à la passion qui l'occupe ». Ainsi parle Jo Dekmine, bien décidé, histoire de se faire (plus que jamais) plaisir en cette fin de saison anniversaire, à « réaliser une partie de ses fantasmes ».

La grande surboum des 25 ans, prévue de longue date et déjà ajournée en janvier, n'aura finalement lieu, le 10 juin, « que » sous forme de conférence de presse-cocktail-salsa, en raison de vacance gouvernementale, donc financière... Prétexte supplémentaire sans doute à faire la fête ailleurs, c'est-à-dire sur scène. Les chouchous à Jo répondent, par exemple, au doux nom de Spinach Ballet (du 24 au 28 mai) : alias Olive et Popeye revisités par deux danseurs en latex, Luna Bloomfield et Christian Michaelsen, dont nous avons longuement célébré les charmes fous lors de leur première au Beursschouwburg voici quelques mois. Et puis il y a John Lurie, héros du film-culte de Jim Jarmusch, Stranger than Paradise, et pour un soir saxophoniste live en solo, quoique assorti de la projection de l'œuvre susdite et précédé d'un « hommage » (à lui) rendu par le quatuor national Halfenhalf (le 1er juin). Ou encore les clowns-poètes Azimuth et Trémouillé (amenés avenue Plasky par « les psys de Saint Luc », sic, le 10 mai).

Mais enfin et d'abord, il y a Les Filles du chef, ce bijou du non-sense qui, en Avignon 86, nous avait révélé le Grand Magasin de Pascale Murtin et François Hiffler, dont Dekmine programma par la suite une Vie de Paolo Uccello moins évidente à notre bonheur. Présents dans la Cité des Papes l'année même d'un « volet africain », Grand Magasin avait bénéficié de cette étrange coïncidence pour ajouter encore à la confusion, qu'ils affectionnent tant. Leur spectacle prétend en effet raconter, « d'après des contes nigériens », à peu près ceci : « Deux jeunes filles du même village refusent de se marier. Un homme quitte le village pour téléphoner à un fils de chef qui était très joli. Il appelle aussi un type qui avait un fils et une fille. Ceux-ci élisent un chef qui a sept femmes dont une favorite. On la demande au téléphone. Ou bien. Un chef a sept femmes dont une favorite. Elle téléphone à un type qui a un fils et une fille. Ils élisent un homme qui quitte le village. Un fils de chef qui était très joli le demande au téléphone. Il lui passe deux jeunes filles du même village qui refusent de se marier »...

Quand vous saurez qu'en outre la production avignonaise de ces Filles du chef bénéficiait de l'aide des... Galeries Lafayette, vous aurez un embryon d'idée de la logique de l'absurde poussée jusqu'au délire selon laquelle Grand Magasin chambarde tout, à commencer par la danse qu'ils ont apprise de conserve à... Mudra! Sapés en mini-mère Noèl et employé aigre-moutarde, Murtin et Hiffler dévident sur le minimaliste, sinistre ton de la récitation scolaire des chapelets de phrases, d'aphorismes, de sentences, de lieux communs issus tout droits, ou tout tordus, des amours surréelles du parapluie et de la machine à coudre. Aérienne, délicieusement tendre, féroce « quelque part », saoûlante de musicalité verbale et épidermique, la poétique de Grana Magasin tient de celle du canard accouchant du cygne, et vice-versa : mais très vice, et très versa. Filles du chef à épouser : derechef, pardi!

CATHERINE DEGAN.

Les Filles du chef par Grand Magasin, au Théâtre 140 du 3 au 5 mai.

Auteur Cathérine Dégan

Publication Le Soir

Performance(s) Les filles du chef

Date(s) du 1988-05-03 au 1988-05-05

Artiste(s) Grand Magasin

Compagnie / Organisation