Archives du Théâtre 140

La Libre Belgique

1-5-1988

Le Kaaitheater au Théâtre 140

« Tanz mit Männer », précoce et sans prodige

Après son premier et suberbe solo, la danseuse Roxane Huilmand essaie une chorégraphie à six danseurs et s'y perd sans les rencontrer...

Roxane Huilmand, comme Anne Teresa De Keersmaeker avant « Microcosmos », avait toujours dansé avec des femmes, ses miroirs... Après « Muurwerk », sa première et très réussie chorégraphie en solo, la jeune danseuse des Rosas, a voulu continuer à expérimenter ses formes propres, exprimer son univers personnel et tenter un premier travail avec des partenaires masculins. Elle le nomma « Tanz mit Männer », danse avec des hommes.

Sur la scène donc, au départ, cinq hommes très différents, individualisés avec une outrance amusante, s'occupent distraitement. Le fond noir à la surface irrégulière s'ouvre sur des pissotières. Au pied du mur, des monticules de papier de soie rouge déchiqueté en petits morceaux qui donneront lieu à quelques jolis effets. Un carré de néons cadre les cintres de plateau.

Des coulisses émerge le son d'un transistor qui diffuse jingles, infos et tubes à succès. L'atmosphère s'emploie à installer un quotidien délavé, à la fois trivial et populaire. On est peut-être dans l'arrière-boutique d'un bistrot, ou dans un vieux fast-food noirci, enlaidi d'éclairages blafards et froids, d'abord très faibles puis plus intenses. Lieu de séduction, de solitudes, de rencontres ou de dragues, maquillés de nuances sordides.

Puis commence le spectacle : solo, duos, trios, introductions et retraits des uns et des autres. Par brefs instants, l'alchimie s'éclaire de sens ou de couleurs émotives, surtout quand le corps exulte sur les mélodies joyeuses et déchirées d'Amalia Rodriguez. Mais souvent, les séquences s'éparpillent, s'alanguissent sans objets. On constate les structures, les enchaînements théoriques mais que nous raconte la jeune chorégraphe flamande? Trop précoce, son spectacle offre une mécanique sans fondements mûrs.

Dans sa « Tanz mit Männer », les danseurs, Eddi Baal, Marc Hallemeersch, Jan Harks, Rob Rappange et Hervé Robbe, se ressemblent trop (personnels seulement dans leur costumes et leur physique). Où sont les rapports agressifs ou complices, amoureux ou conflictuels de cette femme seule et de ces cinq hommes, de ceux-ci entre eux? Quels mouvements nous donnent la dynamique de leur relation, quel est leur jeu et leur enjeu, leur harmonie et leur rupture?

« Tanz mit Männer » s'effiloche de ses lacunes, par manque de réelles motivations, par manque de contenu... La seconde chorégraphie de Roxane Huilmand s'assèche de stériles vélléités, semble tourner à vide, sans inspiration, sans cohérence, par exemple, avec les éléments très concrets qu'exprime le décor, ou encore avec le clin d'oeil des costumes, et avec cette chorégraphie stagnante, uniforme et répétitive.

Une étape, un palier que la jeune femme a peut-être voulu gravir trop vite et dont son talent devra tirer les leçons.

C.D.

Encore ce samedi 30 avril à 20 h 30.

(Photo Philip Gilbert)