Archives du Théâtre 140


Le retour aux sources de la 'Trilogie des Dragons'. Venu du Québec, un spectacle détonnant et étonnant met en cause nos habitudes et nos conforts



La Libre Belgique

16-3-1989

Le 140 aux Halles de Schaerbeek

Le retour aux sources de la "Trilogie des Dragons"

Venu du Québec, un spectacle détonnant et étonnant met en cause nos habitudes et nos conforts

Sous le sable du « parking » - à moins que du « stationnement » - qui remplace aujourd'hui l'ancien quartier chinois de Québec, on pourrait, en creusant un peu, découvrir quelque objet de jade ou des éclats de porcelaine. En creusant plus profond, on trouverait sans doute la Chine. La Chine des Chinois émigrés qui y avaient fait leurs villages. Paraphrasant une maxime célèbre, on pourrait, à partir de là, définir « La Trilogie des Dragons » que nous envoie le Québec d'une formule lapidaire : « Sous le sable, l'Orient ». C'est-à-dire les origines. C'est-à-dire quelque chose qui renvoie à soi-même, en un retour aux sources où, peu à peu, s'effriteraient nos peurs, nos intolérances, nos mesquineries.

CONSACREE. Tel est le fil conducteur de la pièce que le Théâtre du Répère de Québec nous porte, auréolée d'éloges, de prix et de la plus flatteuse des consécrations, celle du public qui, depuis les trois ans de sa création, la célèbre à coups de salles combles. L'anecdote qui court sous ce fil conducteur n'a, en soi, pas tellement d'importance. C'est l'histoire d'une famille à travers trois générations se succédant en trois cycles qui s'étalent des années 1910 à nos jours. A chaque cycle correspond un gardien du parking où se déroule la pièce, symbolisant le dragon - vert, rouge ou blanc - qui, traditionnellement, garde les portes de l'immortalité. Tout cela peut paraître un peu compliqué et il y a, en effet, dans cette pièce, des enchevêtrements de fils et des digressions inutiles qui l'installent parfois dans une confusion très orientale.

Mais là n'est pas l'essentiel. L'essentiel de ce spectacle qui nous raconte l'histoire faite de métissages et de brassages culturels du Nouveau-Monde, ce sont ses personnages. Et ce qu'ils disent. Et ce qu'ils taisent. Et comment ils se comprennent ou pas. Et leurs méfiances, leurs affrontements, leurs tendresses, leurs désarrois, leurs lâchetés, leurs lassitudes. Et leurs rêves qui les ramènent immanquablement à se trouver. Entre eux. Et au fond d'eux-mêmes.

INSOLITE ET ETONNANT. Tout cela nous est projeté par images, symboles, dialogues et allusions dans une mise en scène visuelle et intense de Robert Lepage qui n'ignore pas le cinéma mais sait s'en détacher avec une efficacité n'appartenant qu'à elle-même. On en prend plein la tête, plein le cœur et plein les tripes. C'est un spectacle insolite et étonnant, poétique et réaliste, qui se joue de l'espace et du temps, qui parle - tantôt clair, tantôt obscur - trois langues à la fois, qui brasse les populations et les individus, qui regarde la vie telle qu'elle bat hors de soi et en soi, qui rit, qui pleure, fait la guerre et l'amour. Et retrouve le chemin de la Chine.

On sort de là fasciné et, en quelque sorte, lavé de la poix des habitudes et des conformismes. Ce n'est, en aucune manière, une pièce confortable et... l'inconfort des bancs des Halles de Schaerbeek où a lieu le spectacle n'arrange rien à l'affaire. Quelques spectateurs, une minorité, sont d'ailleurs agacés, voire irrités quittant avant la fin une représentation de plus de trois heures avec deux entractes, il faut tout de même le souligner. C'est leur droit. Et c'est le propre des vrais auteurs de susciter de toujours neuves batailles d'Hernani. En l'occurrence, « La Trilogie des Dragons » n'a pas d'auteur. C'est une pièce essentiellement faite pour être jouée et chacun de ses interprètes, en plus d'un jeu toujours extraordinairement vrai et fort, a apporté quelque chose de lui à sa réalisation.

Merci à Jo Dekmine d'avoir voulu partager avec nous, pour le bonheur, cette découverte d'un spectacle qui partira ensuite à la conquête de Paris, Hambourg, Barcelone, Amsterdam, Wroclaw et Lausanne... Un beau parcours.

Monique VERDUSSEN.

Tous les soirs à 20h30 jusqu'au 18 mars.

Auteur Monique Verdussen

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Trilogie des dragons

Date(s) du 1989-03-14 au 1989-03-18

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Théâtre Repère de Québec