Peintre à Ostende avant de devenir écrivain

HUGO CLAUS A CINQUANTE ANS

Non, Jacques Brel, l'art flamand n'est pas italo-espagnol. Jordaens existe. Je l'ai rencontré à Gand en la personne d'un de ses descendants.

Vous devinez qu'il s'agît d'Hugo Claus dont on célèbre ces jours-ci le cinquantième anniversaire.

J'ai donc passé mon week-end pascal en sa compagnie tellement il est vrai qu'il m'a fallu plus que cette heure d'entrevue pour circonscrire sa personnalité d'écrivain.

Les ressorts de la création m'ont toujours interéssée. Pourquoi un auteur écrit-il? Il semblerait que l'activité créatrice de Claus relève de tempérament schizoïde. Il isole son

œuvre de sa propre personne voire meme du monde ambiant.

Il m'avouera d'ailleurs indirectement s'être trouvé bien en sa propre compagnie depuis sa plus rendre entance.

Séparé très jeune de sa mère, il creera un objet de satisfaction permanent par le biais de son œuvre.

Ecoutons le parler de cette mère dans le poème «De Moeder» ...Terwijl gij elke dag te sterven

staat, niet met mij

Samen, ben ik niet, ben ik niet

dan uw aarde. In mij vergaat .uw leven wente-

relend, gij keert

Niet naar mij terug, van u herstel

ik niet....

Quant à la forme, qui vaut le ble de son œuvre.

Ceci dit pour l'approche sensible de son œuvre.

Quant à la forme, qui vaut le détour en ce qui le concerne, elle trouverait ses assises dans un instinct de destruction très aigu. Ce talent prend donc sa source dans le rejet transmuté en matériel à survivre.

J'en viens aussi rapidement à constater que Claus répond aux critères de l'honnête homme classique puisqu'il détesire la sottise plus que la folie et qu'il témoigne d un grand sérieux.

Nous francophones de Flandre, ne connaissons hélas ! pas bien la littérature néerlandaise. C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de grands écrivains flamands. Mais il y a très certainement Hugo Claus.

ECRIRE DIT-IL

Je l'ai rencontré dans sa maison de la rue Filips Van Artevelde (bon chien chasse de race !), son port d'attache comme il-dit. Je lui trouve une ressemblance physique évidente avec Brutus bien que le Romain avait vraisamblablement le regard plus noir que celui couleur d'azur de Claus.

Il me dit d'emblée qu'il ne désire pas parler d'argent.... nl de femmes, d'en conclus que ces deux domaines font partie de ses préoccupations.

Cette auto-défense est vraisemblablement la résultante d'une lassitude depuis qu'une certaine presse s'est préoccupée davantage de sa vie sentimentale que de son œuvre. Il m'est, d'autre part, difficile de négliger le sexe faible dans l'interview d'un auteur réputé erotique.

Ma première question ira d'ailleurs dans ce sens.

M.S. — Etes-vous un auteur erotique ?

Il sourit de toutes ses dents qui font comme un éclat dans son visage bronzé par un soleil vacancier des Bahamas. Si j'avais plus d'audace je vous dirais qu'il m'a

certifié avoir pris le the en compagnie de Farah Diba et de son mari qui prennent également un peu de repos dans ces îles.

H.C. — (innocent). Je ne suis ni plus ni moins érotique qu'un autre ! Chaque lecteur me voit à sa convenance.

M.S. — Comment se sont déroulées vos premières années ?

H.C. — Ma vie a commencé par une césarienne ! (Brutus). Mes parents habitaient Courtrai. Comme cette intervention était moins fréquente en ce temps là on a trans porté ma mère à l'hôpital St. Jean à Bruges. Je suis donc né sous la vigie de Memlinc! On m'a mis en pension en bas-âge. Je n'avais que dix-huit mois ! J'ai quitté cet établissement à l'âge de onze ans et puis j'ai encore fréquenté quelques écoles.... Bref, à quinze ans «j'ai mis les bouts !» Je me suis trouvé dans la vraie vie. J'ai fait beaucoup de métiers. Si vous saviez combien de façades et de

corniches j'ai peintes à Gand ! A dix-sept ans je me suis dirigé vers le Nord de la France. J'y ai travaillé dans une fabrique de sucre. (Suiker).

M.S. — Quand avez-vous publié votre premier livre ? H.C. — Comme tout un chacun j'ai commencé par un recueil de poèmes. J'avais dix-huit ans.

M.S. — Et votre premier roman ?

H.C. — «De Metsiers», à vingt ans.

M.S. — Nombre de vos lecteurs prétendent que ce serait votre meilleur livre.

H.C. — Je sais. Cela n'énerve un peu... mais...

M.S. — Mais !

H.C. — Mais je continuerai d'écrire. Qu'ils le sachent ! Que ferais-je d'autre ?

C'est vrai qu'Hugo Claus est un des rares écrivains flamands à vivre (très mal dit-il) de sa plume. A part lui il y aurait encore Ivo Michiels et Jef Geeraerts.

M.S. — Vous peignez aussi. On dit que tout écrivain devrait savoir dessiner. Etes-vous d'accord ?

H.C. — Bien entendu. Il n'y a qu'à approcher les civilisations chinoises où cette disposition d'esprit est un état de fait. Personnellement je ne peux dissocier les deux.

Je cherche en vain une gouache, une peinture du maître de céans.

H.C. — Ah I non, je ne vais pas imposer mes propres œuvres à mes invités. Ce serait une terrible impolitesse !

Il préfère imposer la quadruple image de José Marti, le père de la révolution cubaine, dans un portrait façon Erro. Frondeur donc jusqu'au plus profond de l'âme malgré une carapace parfaitement posée.

M.S. — Vous êtes donc un homme très civilisé ?

H.C. — Je tiens aux civilités. La plupart des gens ne m'intéressent pas directement. Je consens ce-

pendant à les rencontrer. Je ne leur demande pas grand chose sinon une certaine politesse. Et je la leur rends. (n.d.I.r. - Claus est en effet très courtois).

M.S. — Vous vous traitez mal je trouve. Il faut être révérencieux envers son œuvre. Comment traitez-vous vos livres ?

H.C. — De même ! Dès qu'un livre est écrit je l'oublie. Je fais le vide dans ma tête.... Je vous dirai que j'ai écrit plus de deux mille poèmes et pourtant je ne pourrais pas citer quatre de mes vers sans me tromper.... (Toujours le rejet, la purification).

M.S. — Où avez-vous puisé cette ascèse intellectuelle ? Avez-vous un maître ?

H.C. — Au départ j'étais peintre. Je fréquentais les surréalistes et de plus près le groupe Cobra. Côté littérature j'ai été très impressionné par Antonin Artaud. Je l'ai d'ailleurs rencontré.

M.S. — Un maître de ce calibre laisse vraisemblablement des traces. Considérez-vous cependant un homme à l'état brut comme Artaud en tant qu'écrivain ? Personnellement je ne vois pas sa main écrivant. N'etait-il pas que nerfs et esprit ? Il ne supportait d'ailleurs aucunes contingences matérielles.... ni même le commerce amoureux !

H.C. — C'est vrai que ce côté martyr de I écriture a en quelque (...) ses possibilités a écrivain. Mais quelle chair sa prose: Quant a ses difficultés avec les tenimes elles sont I apanage de grand nombre d'écrivains....

M.S. — Je vous croyais tres sensible au charme feminin. Vous avez meine un (...) d'une femme particulierement erotique puisqu' elle a interprété le role d'«Emmanuelle» a I écran ?

H.C. — Ainsi vous faites de Christopher Reeve un Superman dans la vie ! C est insense quand même ce qu on peut radoter a propos de ce rote de Sylvia Kristel.

C est vrai, je suis sensible aux femmes mais seulement à certaines heures. Elles ne peuvent pas m accaparer. Je n'aime pas les femmeis qui ont une personnalité tres accentuee. Elles n ont aucune place dans ma vie. Je me charge tout seul de l'intellect.

H.C. — Ceci dit je trouve que les femmes doivent être mises sur un pied a égalité avec les hommes.

Il vous dit ça avec un sourire desarmant si bien que la feministe qui sommeille en toute femme ne peut que s attendrir devant tant de bonne volonté.

LA FAMILLE

M.S. — Vous avez deux fils, Thomas avec votre femme Elly, et Arthur (Rimbaud ?) avec Sylvia Kristel. Les voyez-vous souvent ?

H.C. — je ne suis pas un père modele mais je les vois régulièrement.

M.S. — A qui ressemblent-ils ?

H.C. — Thomas me ressemble et Arthur ressemble plus à sa mère.

M.S. — vous vivez seul ?

H.C. — Oui. C'est un choix.

M.S. — Pourquoi êtes-vous revenu a Gand. Un dit que c'est pour la mere de Thomas. Est-ce vrai ?

H.C. — Je vous répète que je vis seul. D'autre part je n ai jamais divorce. Elly et moi sommes toujours maries. Gand est une petite ville de province. Je me sens bien ici.

M.S. — Vous avez beaucoup voyagé. Où aimez-vous retourner ?

H.C. — Je ne suis pas un vrai voyageur. Je fais du chemin parce que je ne tiens plus en place chez moi. C'est tout. J'aime beaucoup Mexico et surtout New-York. M.S. — Vous êtes un écrivain prolifique. A quoi travaillez-vous pour l'instant ?

H.C. - je prépare un roman au-

quel je m'avelle depuis six ans.

Il s'agira «d'une histoire familiale avec certains éléments autobiographiques.

M.S. — Vous m'avez dit que vous n'étiez pas un écrivain à la recherche de son identité. Est-ce bien exact ?

H.C. — Bien sûr. Ma propre vie est un tremplin mais mon ego ne m'intéresse pas en tant que matière à écrire. Bien entendu je me rencontre parfois en chemin.

Voici donc pourquoi Hugo Claus est revenu à Gand. Pour sentir vivre la famille, la cellule.

Au terme de cet entretien, je sais très peu de ses goûts. Hugo Claus se livre difficilement. Je sais qu'il admire la littérature anglo-saxonne, aussi Diderot et Flaubert. Il vénère Stravinsky. Aime beaucoup Marcel Duchamp. Tous des novateurs comme par hasard.

Notre jeune quinquagénaire n'a pas tout dit. C'est évident.

En me dirigeant vers la sortie je note au passage que le coin cuisine prend un fameux périmètre dans son espace vital mais moindre quand même que sa bibliothèque blanche.

Pour en revenir à Jacques Brel et à Jordaens, ces deux Flamands athentiques quoiqu'on en dise, je m'arrête sur le pas de la porte devant un immense tableau de la main d'un élève du même Jordaens. Il s'agit d'une allégorie montrant Diogène et sa lanterne à la recherche d'un homme....

Et je quitte Claus sur cette vision misanthrope mais poignante. Je rencontre à nouveau ses yeux si clairs et tendres qui lui donnent un air incroyablement juvénile dans sa tête bouclée. Notre conversation s'envole en fumée mentholée. Claus fume du bout des lèvres comme ces enfants bien élevés qui tètent en fermant les yeux.

Ce qu'il n'a pas précisé, mais ce que savions, Hugo Claus peignit à Ostende où il avait loué une chambre face à l'entrée du port. Ostende lui était d'ailleurs familier, c'est là que son père avait une imprimerie après la guerre et où son frère vient de monter un établissement, 67, rue